Faire son deuil

"Chaque jour nous dérivons plus loin d’elle, chaque pas que nous faisons est un pas de plus qui nous sépare d’elle. Continuer à vivre signifie s’éloigner, continuer à s’éloigner d’elle. Nous nous arc-boutons contre les jours, mais les jours nous ignorent. Ils nous entraînent, ils nous emportent vers des lieux qui ressemblent à s’y méprendre à ceux que nous connaissions. Et pourtant tout est différent. Quelqu’un, en notre absence, s’est-il ingénié à déplacer les choses ? Nous nous cognons partout, nous ne cessons de rester coincés, parce que nous n’avons pas la moindre idée de l’endroit où nous sommes tombés."

Pieter Frans Thomese a perdu sa petite fille alors qu'elle n'avait que quelques semaines. Epreuve ô combien difficile à surmonter, deuil impossible, P.F. Thomese a cherché comment continuer à vivre avec ce poids et ses souvenirs. Un peu comme Philippe Forest dans "Sarinagara", il s'est plongé dans l'écriture, ce qu'il savait faire de mieux dit-il, car c'est son métier (on lui doit l'excellent "Zuidland").
Thomese a eu besoin non seulement de comprendre mais aussi de faire passer sa colère et sa rage devant ce qu'il considère en toute logique comme une injustice. Il se pose un tas de questions, cherche parfois vainement les réponses à y apporter.
"Une femme qui enterre son mari est appelée veuve, un homme qui se retrouve sans sa femme veuf. Un enfant sans parents est orphelin. Mais comment s'appellent le père et la mère d'un enfant mort?"
Thomese creuse, cherche, construit à sa façon, à l'aide d'explorations poétiques et philosophiques, ce futur qui n'existera jamais, il invente un passé fictif, un imaginaire qui n'appartient qu'à lui. Un prolongement en quelque sorte de quelque chose qui n'a jamais existé et n'existera jamais. Travail douloureux et dangereux à mes yeux, l'auteur court le risque de sombrer dans le rêve et les illusions, le réveil peut faire mal. Pieter Frans Thomese semble en être conscient, il examine à la loupe les textes de quelques auteurs, tente d'y voir plus clair et de savoir si ces récits peuvent s'appliquer à lui et dans quelle mesure ils contiennent des parts de vérité. S'inventer une vie invisible, oui, mais en gardant les pieds sur terre et la douleur au creux du ventre. Pas facile, c'est certain. On sent dans toutes les lignes la souffrance et l'émotion qui vivent dans l'esprit de P.F. Thomese, ça prend à la gorge, c'est un texte bouleversant par lequel un homme livre sa joie et sa révolte, un exercice d'écriture qu'il espère salutaire. C'est intime sans être impudique. Magnifique.

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  L'enfant ombre [Texte imprimé] P. F. Thomése trad. du néerlandais par Philippe Noble

  de Thomése, Pieter Frans Noble, Philippe (Traducteur)
  Actes Sud / Lettres néerlandaises.
  ISBN : 9782742752041 ; 13,70 € ; 01/10/2004 ; 125 p. ; Broché

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