L'homme sans qualités, tome II de Robert Musil, Jean-Pierre Cometti (Traduction), Philippe Jaccottet (Traduction), Marianne Rocher-Jacquin (Traduction)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Monito, le 10 janvier 2005 (Inscrit le 22 juin 2004, 51 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 718ème position).
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trouver beau quelque chose, c'est avant tout, le trouver

Dans cette deuxième partie du roman de Musil qui contient pour près de la moitié, des ébauches, des esquisses, des chapitres non terminés, non encore hiérarchisés… l’élément majeur est Agathe.
Agathe, la sœur d’Ulrich, son double, sa moitié, son reflet… Cette sœur avec laquelle il n’a jamais eu de lien, pas même dans l’enfance, nous apparaît à la mort du père.
En quelques pages, sans se dire, ils se comprennent, se reconnaissent, se complètent, se terminent et peut-être s’achèvent, mais eux aussi, toujours, dans l’inachevé.
Mal mariée après avoir été veuve, Agathe est perdue dans sa vie. Son caractère tout aussi torturé et tortueux que celui de son frère s’exprime davantage dans le ressenti.
Elle va en ce sens « humaniser » Ulrich et la lecture de ses notes personnelles en sera le témoignage. Leurs échanges sans but, ou plus tôt avec toujours un but non dit, celui de se conforter, de se justifier et de vérifier qu’ils font « un » scandent toute cette partie.
Les questions restent les mêmes, la réalité, la morale, le bien, le mal… S’ajoutent les sentiments, l’Amour et le roman prend un sens qu’il n’avait pas jusque là. Il touche au « romanesque ». De très belles pages sur l’Amour, ce qu’il est, ce que nous croyons qu’il est, ce que nous ne saurons jamais de ce qu’il peut être…

L’Action parallèle perd un peu plus de son sens, et disparaît quasiment de ce deuxième tome. Les autres personnages aussi du reste.

Sans recul, ce qui reste, de tout ce que je n’ai pas fini de lire et de comprendre, c’est vraiment et décidément, qu’il faudra y revenir…un jour…toujours ?

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9 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 16 août 2009

Plus qu’un roman, L’Homme sans qualités apparaît encore mieux dans ce second tome comme le confident de Musil, suivant plus le fil de ses idées qu’une quelconque trame romanesque. Or, durant les vingt ans qu’a pris son écriture (tout en demeurant inachevée), il est bien naturel que les préoccupations de l’auteur aient changé. Plus que la suite directe du volume 1, donc, c’est la suite du cheminement intellectuel d’Ulrich/Musil que l’on découvre au fil de ces mille et quelques pages.
Sans faire véritablement table rase, c’est tout de même selon une approche tout à fait différente que l’on aborde la seconde partie de cette fresque des douze mois qui précédèrent la Première guerre mondiale en Autriche. On pourra d’ailleurs noter en passant ce qui pourrait être une négligence de Musil dans la chronologie de son œuvre. Déjà dans le Tome 1, on avait été frappé par la discrétion des préparatifs de la guerre dans cette Europe dont les troubles transparaissaient à peine, lointaine rumeur, dans l’œuvre de Musil. La tendance continue dans ce Tome 2 quand, vers la fin, Hans Sepp est envoyé faire son service militaire obligatoire sans qu’il soit question de l’envoyer sur un quelconque front. Plus frappant encore, au détour d’une page (la sept cent soixante-huitième de ce tome), Musil nous annonce que cela fait un an qu’Ulrich a retrouvé Agathe : ces retrouvailles n’ayant lieu qu’au début du Tome 2 et le Tome 1 s’ouvrant sur une belle journée d’été 1913, un an après les retrouvailles d’Ulrich et sa sœur, on devrait donc être au beau milieu d’une Europe déchirée par le feu et les gaz. Il n’en est rien.
Mais cela a finalement assez peu d’importance ; d’abord parce que ce n’est dit qu’en passant, ensuite puisque ça l’est dans la partie inachevée du roman (640 des 1082 pages composant ce second volume). Surtout parce que l’Europe et son éclatement n’est plus au centre des préoccupations de Musil : l’Action parallèle, mince axe autour duquel s’articulaient la première partie et les réflexions de Musil sur le sujet a presque entièrement disparu, c’est tout juste si Ulrich assistera à une dernière réunion avant de s’en retirer plus ou moins officiellement. Quant à ses ultimes soubresauts – en forme de pied de nez comme cet ultime aboutissement des réunions de Diotime décidant de l’organisation d’un congrès pour la paix que la guerre viendra différer à jamais –, ils ne nous sont plus rapportés que par l’entremise du bon vieux général von Stumm, dont l’esprit récemment acquis et la naturelle bonhomie sont à l’origine de certains des beaux mots de ce roman.
« Roman », L’Homme sans qualités ? Les nouvelles préoccupations de l’auteur – auxquelles on vient enfin – semblent dans un premier temps justifier l’usage de ce terme pour qualifier cet ouvrage toujours à mi-chemin entre roman proprement dit et traité. Celui-ci s’ouvre en effet sur l’apparition dans une scène assez cocasse d’une femme en pyjama, Agathe, qui n’est autre que la sœur d’Ulrich que la mort du père rend à lui alors qu’ils ne s’étaient plus vus depuis l’enfance. Plus qu’une sœur, Ulrich trouvera en Agathe sa moitié et Musil, un nouveau thème pour son œuvre.
Celle-ci, délaissant donc les troubles du nationalisme de plus en plus présents à la fin du premier volume, sera en effet principalement axée sur l’amour et l’aboutissement d’un être dans un autre. Ulrich et Agathe sont ainsi au centre de l’œuvre, tant et si bien que la plupart des autres personnages rencontrés dans le premier tome disparaissent purement et simplement, à commencer par le trio Arnheim, Diotime, Leinsdorf, relégués au rang de personnages très secondaires. Seul le général von Stumm continue de tirer son épingle du jeu, rapportant des nouvelles du monde – vaste ou grand – avec un certain humour et de plus en plus de justesse. Sur le devant de la scène, Agathe et Ulrich n’en finissent pas de se rapprocher et d’échanger, cédant à une attirance de plus en plus évidente qu’ils tentent de camoufler en se déclarant « jumeaux siamois » pour consacrer en une forme acceptable l’union des deux moitiés du seul être qu’ils constituent. Ces développements donneront à Musil l’occasion de mener de belles réflexions sur l’amour et la vaine quête de sa forme idéalisée, d’aborder quelques thèmes classiques tels que celui de l’hermaphrodisme ou d’Isis et Osiris et, bien entendu, de glisser petit à petit vers l’inceste.
Agathe apporte une véritable fraîcheur à l’œuvre. Elle complète véritablement Ulrich, lui apportant la spontanéité et le dynamisme qui lui font défaut ; l’envie aussi. Malheureusement, après la fulgurance des premiers chapitres, sa présence a tendance à diminuer avec la dimension romanesque de l’œuvre et elle ne sert parfois que d’auditeur passif permettant à Ulrich et Musil de nous communiquer leurs fort intéressantes pensées sur divers thèmes parmi lesquels l’amour, donc, mais aussi le génie (avec un distinguo très intéressant, amené par von Stumm et mené par Ulrich, entre le génie technique et militaire dont la racine est genium et celui « surhumain » de la famille de genius et qui justifie qu’on dise d’un footballeur autant que d’un philosophe qu’il est « génial ») ou la morale, devenue un temps le nouveau dada d’un Ulrich en quête du règne millénaire dévoilant une facette inquiétante d’omniscience dictatoriale. Un autre thème aussi développé, quoiqu’ assez maladroitement sur une centaine de pages à travers la lecture par Agathe du journal (surgit d’on ne sait où) d’Ulrich, est celui des sentiments, abordé de façon assez obscure pour ce qui constitue un des mauvais moments de l’œuvre.
Autour du couple gravitent une brochette de nouveaux personnages venant s’ajouter, voire se substituer, à ceux du Tome 1. L’un d’entre eux est le mari d’Agathe, Hagauer, de qui elle entend bien divorcer sans lui donner un sou de l’héritage de son père (quitte à falsifier son testament) et que Musil laisse étrangement de côté après avoir tenté à quelques reprises de l’intégrer à son roman. C’est à peine si l’on apprendra le dénouement quelque peu décevant de leur intrigue en parcourant les notes qui remplacent de plus en plus le récit au fil des trois cents et quelques dernières pages. Parmi les autres nouveaux venus, on trouve le conservateur et moralisateur Lindner, antithèse d’Ulrich, avec lequel Agathe entretient pourtant une étrange relation, et son fils Peter, parfait inculte auquel Musil semblait destiner un rôle de premier ordre dans la fin de son œuvre, ou encore le jeune poète rousseauiste Feuermaul qui conclura une alliance contre-nature avec Hans Sepp lors de la seule scène de ce Tome 2 qui nous ramène dans les salons de Diotime pour assister à une des ultimes séances de cette action parallèle qui, présentant venir le temps des criminels, piétine.
Les seuls, cependant, qui parviendront à voler temporairement la vedette à Ulrich et Agathe sont Clarisse et Moosbrugger, la femme de l’ami d’Ulrich et le criminel condamné dans le Tome 1. Versant de plus en plus dans la folie et s’imaginant pourvue de la tâche messianique de sauver l’humanité en faisant ressortir dans chaque être sa part de génie, Clarisse entretient toujours une fascination depuis bien longtemps oubliée par Ulrich pour le meurtrier Moosbrugger, fascination qui la poussera à s’acharner à lui rendre visite à l’asile d’aliénés où elle finira par aboutir et allant même jusqu’à le faire évader avec des conséquences presque tragiques pour Rachel, la petite soubrette de Diotime, congédiée après être tombée enceinte de Soliman, le « nègre » d’Arnheim.
Mais là, déjà, on doit se contenter des notes de l’auteur pour avancer dans l’histoire. Ces notes constituent plus de la moitié de ce second tome et à leur lecture, on ne peut que se dire que, n’eut été la mort, Musil aurait encore pu écrire mille pages de plus tant il lance de nouvelles pistes conférant un rôle important à des personnages – et à la guerre – jusque là laissés de côté. Si ces notes, de moins en moins structurées à mesure qu’approche la fin, rendent parfois la lecture plus découpée (mais pas réellement plus difficile), elle permettent d’avoir un aperçu du travail de préparation de l’auteur et on sera surpris de voir que l’histoire proprement dite prime sur les réflexions – dont les thèmes sont à peine esquissés dans une parenthèse laconique – quand, tout au long de ces deux mille pages, on était persuadés que celle-là n’était qu’un prétexte pour celles-ci.
Au terme de ces notes, néanmoins, on ne sait rien de ce qu’il advient de la plupart des nombreux personnages qu’on a croisés au long de ces non moins nombreuses pages. Pour certains d’entre eux, dont Ulrich, les quelques pistes laissées par Musil semblent mener à la guerre. La plupart des autres ne semblent connaître ni but véritable ni véritable fin : le livre encore une fois raconte moins une histoire qu’il peint une époque et ses protagonistes sans que ceux-ci ressentent le besoin d’avoir un rôle à jouer ; ils se contentent d’être et d’exister dans cette Vienne du début d’un siècle tourmenté tandis qu’on sourit de voir que l’an 2000 y est déjà brièvement évoqué.

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