Mon père et autres textes de Orhan Pamuk
(Babam ; Pencereden Bakmak ; Babamin Bavulu)
Catégorie(s) : Littérature => Moyen Orient , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

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«La mort de chaque homme commence avec celle de son père.»
Le livre «Mon père» de l’auteur turc Ohran PAMUK (*1952) est composé de trois textes très courts (déjà parus par ailleurs…), basés sur la figure du et en hommage au père.
«Mon père», le premier texte est une longue remémoration de la jeunesse de l’écrivain, doublée d’une longue liste de souvenirs de son père quand il s’occupait de lui. Ce sont les souvenirs d’un jeune enfant dans les années 60 à Istanbul, les souvenirs d’instants très précieux et très rares, passés avec un père beaucoup trop souvent absent. C’est presque de la poésie en prose, d’une beauté et d’une simplicité à couper le souffle, c’est d’autant plus intime et captivant quand on sait que cela a été composé juste après la mort du père de l’auteur…
Un extrait :
«J'aimais qu'il m'emmène au cinéma, j'aimais l'entendre parler à un tiers du film que nous avions vu ; j'aimais sa façon de se moquer des imbéciles, des gens creux et teigneux, comme j'aimais l'entendre parler d'une nouvelle variété de fruit, d'une ville qu'il avait visitée, d'un livre ou des dernières nouvelles, mais je voulais surtout qu'il me cajole et m'aime encore plus»…
«Regarder par la fenêtre», le deuxième texte se déroule à Istanbul en 1960. Ce sont les souvenirs d’un enfant qui n’est autre que l’auteur lui-même. On découvre par la même occasion sa famille, ses oncles, ses tantes, ses grand-mères et aussi bien entendu sa mère. Le mode de vie, les habitations, les magasins, les cafés, les marchands de journaux, les parcs de la ville, les tramways… Rien n’échappe à l’œil avide de ce jeune garçon qui nous fait partager sa vie quotidienne, l’amour de sa mère, les disputes avec son grand frère, les visites chez ses grand-mères, les conversations avec son père…
Un extrait :
«Nous étions arrivés en face de notre immeuble. Avant de pouvoir traverser la rue, nous laissâmes passer le tramway venant de Maçka. Puis un camion, un autobus de Besiktas pétaradant lâchant des gros nuages de gaz d’échappement et, dans l’autre sens, une De Soto violette. C’est alors que j’aperçus mon oncle qui regardait par la fenêtre. Il ne nous avait pas vus ; il contemplait les voitures qui passaient dans un sens et dans l’autre.
Je l’observai pendant un long moment.
La voie était libre depuis longtemps. Ne comprenant pas pourquoi ma mère nous tenait par la main sans nous faire traverser, je me tournai vers elle, et je vis qu’elle pleurait en silence.»
«La valise de mon papa», le troisième texte, n’est autre que le discours de réception du Prix Nobel de Littérature (prononcé le 7 décembre 2006) (1). Comme de coutume, ce discours permet au lecteur de découvrir la vie, la pensée et l’œuvre de son auteur. Dans son discours de réception, Orhan PAMUK nous parle de sa vocation d’écrivain, de la solitude de l’écrivain, de la nature, du processus et de l’acte d’écrire, de la lente, très lente «maturation» de l’écriture…
Il m’est malheureusement impossible de parler de façon explicite de toutes les idées développées dans ce texte, dans ma si courte recension sur ce livre, mais voici la réponse à la traditionnelle question : Pourquoi écrivez-vous?
«J’écris parce que j’en ai envie. J’écris parce que je ne peux pas faire comme les autres un travail normal. J’écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. J’écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. J’écris parce qu’il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée. J’écris parce que je ne peux supporter la réalité qu’en la modifiant. J’écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécue, nous vivons, moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. J’écris parce que j’aime l’odeur du papier et de l’encre. J’écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l’art du roman. J’écris parce que j’ai peur d’être oublié. J’écris parce que je suis sensible à la célébrité et à l’intérêt que cela m’apporte. J’écris pour être seul. J’écris dans l’espoir de comprendre pourquoi je suis à ce point fâché avec vous tous, avec tout le monde. J’écris parce qu’il me plaît d’être lu. J’écris en me disant qu’il faut que je finisse ce roman, cette page que j’ai commencée. J’écris en me disant que c’est ce que tout le monde attend de moi. J’écris parce que je crois comme un enfant à l’immortalité des bibliothèques et à la place qu’y tiendront mes livres. J’écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. J’écris parce qu’il est plaisant de traduire en mots toute cette beauté et la richesse de la vie. J’écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. J’écris pour échapper au sentiment que je ne peux atteindre tel lieu auquel j’aspire, comme dans les rêves. J’écris parce que je n’arrive pas à être heureux quoi que je fasse. J’écris pour être heureux.»
Que dire de plus sur ce livre? Ce sont des considérations somme toute «ordinaires», mais qui nous sont vraiment présentées de façon «extraordinaire», sublimées par le grand talent de l’écrivain. On pourrait dire qu’il nous rend la banalité de tous les jours un peu moins banale! C’est pourtant une écriture très simple, très fine, dans un petit livre d’une centaine de pages, qui se lit en quelques heures… Ce sont d’ailleurs et avant tout les souvenirs intimes de l’enfance de l’auteur, qu’il arrive vraiment à nous restituer avec ses yeux d’enfant, notamment dans la très belle nouvelle «Regarder par la fenêtre».
Est-ce que je vous conseille la lecture de ce livre. Oui, bien entendu! Ce n’est pas le meilleur livre de l’auteur, et ce n’est certainement pas représentatif de l’immense talent de cet écrivain… Mais, c’est certainement une très bonne introduction à l’œuvre de l’écrivain turc, et surtout c’est un très bel hommage à la figure du père et à son rôle dans la famille… Je ne peux donc qu’en recommander la lecture au plus grand nombre d’entre vous…
P.S. : Faut-il rappeler que M. Ohran PAMUK a été le lauréat du Prix Nobel de Littérature en 2006. Il est au moment où j’écris ces lignes, le seul écrivain turc lauréat de cette récompense littéraire.
(1). : Tous les ans, au cours de la première semaine du mois de décembre, le lauréat est invité à écrire et prononcer un discours à cette occasion. Ces discours, (connus sous le nom de «conférences Nobel»), souvent des textes originaux, inspirés, puissants, sont souvent des réflexions sur la création littéraire, l’acte d’écrire et de publier. Voici p.ex. celui du nigérian Wole SOYNKA (*1934, Prix Nobel de Littérature 1986) ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/59723 et celui de la polonaise Olga TOKARCZUK (*1962, Prix Nobel de Littérature 2018), ici sur CL: https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/59596
Les éditions
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Mon père et autres textes
de Pamuk, Orhan Gay-Aksoy, Valérie (Traducteur) Authier, Gilles (Traducteur)
Gallimard / Folio
ISBN : 9782073092038 ; 3,00 € ; 21/11/2024 ; 96 p. ; Poche
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