Le Necronomicon - Précédé de Histoire du Necronomicon de Collectif, Howard Phillips Lovecraft

Le Necronomicon - Précédé de Histoire du Necronomicon de Collectif, Howard Phillips Lovecraft

Catégorie(s) : Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Eric Eliès, le 2 janvier 2025 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 7 étoiles
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 245 

Un canular littéraire en forme de recueil collectif, présentant des fragments du Necronomicon (attention : cette lecture peut vous rendre fou ! :D) et des études, à la fois hommage à Lovecraft et témoignage sur Lovecraft

Né en 1890 à Providence (USA) et mort en 1937, HP Lovecraft a consacré sa vie à l’écriture. En une décennie, du milieu des années 20 au milieu des années 30, il a composé, en quelques nouvelles et courts romans, une œuvre vouée à provoquer chez le lecteur un sentiment d’angoisse cosmique que dévoile l’incipit de sa nouvelle la plus célèbre, « L’appel de Cthulhu » :

La chose la plus miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l'incapacité de l'esprit humain à mettre en relation tout ce qu'il contient. Nous habitons un paisible îlot d'ignorance cerné par de noirs océans d'infini, sur lesquels nous ne sommes pas appelés à voguer bien loin. Les sciences, chacune creusant laborieusement son propre sillon, nous ont jusqu'à présent épargnés; mais un jour viendra où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l'épouvantable place que nous y occupons que nous ne pourrons que sombrer dans la folie devant cette révélation, ou bien fuir la lumière pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel âge des ténèbres.

Ses plus grands textes (dont « L’appel de Cthulhu ») sont pour moi rassemblés dans les deux recueils intitulés « Dans l’abîme du temps » (dont j’ai fait une longue recension en critique-éclair sur CL) et « La couleur tombée du ciel », par lesquels il fut révélé au public français en 1954, grâce à la collection Présence du Futur. Quant à la vie de Lovecraft, je me permets de renvoyer à la remarquable biographie que lui consacra Michel Houellebecq (l’un de ses premiers livres, à l’époque où Houellebecq n’avait publié que des poèmes et n'était pas encore le romancier polémique et surmédiatisé qu'il est devenu).

Peu publié de son vivant, sauf dans des magazines à bon marché (dit « pulps »), Lovecraft fut néanmoins un écrivain presque adulé par un petit cercle de jeunes écrivains amateurs, qui l’admiraient et recherchaient ses conseils (parmi eux, certains devinrent des écrivains célèbres comme Robert Bloch, l’auteur de « Psychose »). Après le décès de Lovecraft, quelques-uns, notamment August Derleth (qui devint lui aussi un écrivain prolifique), se mirent à rassembler et éditer ses textes pour les mieux faire connaître. Et le succès vint rapidement, alimenté par un bouche à oreille répandant la légende d’un écrivain reclus et misanthrope, étranger à ce monde et dévoilant dans ses récits des vérités impies sur les créatures redoutables embusquées dans les profondeurs de l’espace-temps… En France, la réputation de Lovecraft comme « grand initié » fut alimentée par Jacques Bergier, esprit tortueux mélangeant curiosité scientifique et appétence ésotérique, qui eut son heure de gloire comme l’un des deux co-auteurs du « Matin des Magiciens » et de la revue Planète.

La grande et grave question posée par Bergier et Cie est : " Et si les nouvelles de Lovecraft n’étaient pas des nouvelles mais des mises en garde et des révélations sous le voile de la fiction ?" De manière étonnante, cette question qui relève du canular a parfois été prise au sérieux. Cette interprétation repose en grande partie sur la rigueur apparente de Lovecraft. En effet, en esprit méthodique et curieux, un peu comme Edgar Allan Poe qu’il admirait, Lovecraft s’est intéressé aux découvertes scientifiques de son temps (notamment la naissance de la physique quantique et de la Relativité) et a essayé de conférer des fondements rationnels à ses délires de terreur cosmique, leur conférant une apparence de crédibilité qui en décuple considérablement l’impact. En outre, dans toute son œuvre, Lovecraft se plaît à brouiller les cartes et à mélanger, avec une grande virtuosité, le réel et le fictif (personnages, lieux, etc.). Parmi ses inventions les plus remarquables, on peut citer les villes de Dunwich, d’Innsmouth et d’Arkham (où se trouve la célèbre université Miskatonic), que Lovecraft a maintes fois décrites. Mais son invention la plus célèbre est le Nécronomicon, censé être la transcription grecque d’un ouvrage arabe aujourd’hui perdu, rédigé vers l’an 700 par le poète Abdul Al-Hazred (l'auteur du fameux distique traduit par : "That is not dead which can eternal lie / And in strange aeons even death may die" pour évoquer le sommeil de Cthulhu), avant qu'il ne sombra dans la démence. Evoqué pour la première fois dans la nouvelle « la cité sans nom », le Necronomicon, dont l’université de Miskatonic détient une copie, devint une référence récurrente des textes de Lovecraft et l’un des piliers de ce qu’on a appelé le « mythe de Cthulhu » dont il constitue une sorte de bible, grimoire dangereux qui peut rendre fou l’imprudent qui le lit…

L’une des caractéristiques les plus surprenantes de l’œuvre de Lovecraft (que Michel Houellebecq souligne à raison dans sa biographie) est sa puissance d'impact et sa faculté de facteur déclencheur chez de nombreux lecteurs, qui ont basculé de la lecture à l’écriture pour en quelque sorte s’approprier le mythe et l’enrichir, avec des succès assez divers, allant de l’hommage au pastiche plus ou moins grossier. Ainsi, Robert Bloch et August Derleth, déjà cités, ont écrit des romans « lovecraftiens » presque à l'imitation du maître. Ce foisonnement, que Lovecraft n’a pas connu car sa reconnaissance internationale fut toute post-mortem, a été intense dans les années 50/60/70. Le texte du « Nécronomicon » publié dans les années 70 est un canular littéraire s’inscrivant dans la tradition des poursuiveurs de l’œuvre, dont beaucoup avaient repris et intégré le Necronomicon dans leurs textes. Même José Luis Borges y a fait référence dans une de ses nouvelles. Ce canular, possiblement dû à Colin Wilson (le préfacier) vaut-il la peine d’être lu ? Spontanément, je dirais "Non", car c’est un canular qui au fond n’apporte rien à l’œuvre elle-même ...mais pourtant, après réflexion, c'est "Oui", sans hésiter ! Pas tant pour le dit "Necronomicon" en lui-même, qui n’occupe qu’un tiers de l’ouvrage et se présente comme les fragments d'un vague manuel de magie noire et de rituels d’incantation (qui ne rendra pas fou celui qui le lit : celui dit, je n’ai pas essayé la mise en pratique…) mais pour tous les à-côtés, sous forme d’études, plus ou moins sérieuses, sur Lovecraft, sur son œuvre et la réception de celle-ci. L'ouvrage est une somme de contributions émanant de personnalités se présentant comme des spécialistes de Lovecraft ou de la littérature ésotérique. Tout ne doit pas y être pris au premier degré mais certaines interprétations sont intéressantes, notamment celles dévoilant - sans concession – le racisme et la misogynie de Lovecraft, ainsi que sa solitude après son retour à Providence, suite à l’échec de son mariage et de son séjour à New-York, ville incarnant une modernité qu’il détestait et méprisait. Lovecraft se sentait étranger à son époque et regrettait de n’être pas né au 18ème siècle au temps du Dr Samuel Johnson, qu’il vénérait… L'ouvrage s'éloigne aussi parfois assez nettement de Lovecraft et du Necronomicon. Au début, on peut penser que ce sont des digressions de remplissage mais pas toujours. Ainsi, l’une des sections qui m’a le plus fortement intéressé, quand j’ai lu l’ouvrage il y a maintenant une trentaine d’années (quand j’avais la vingtaine, point culminant de ma passion pour Lovecraft), fut celle portant sur la cryptographie et les procédés utilisés au cours de l’Histoire pour encoder et cacher un message dans un texte, avec des procédés évoquant parfois des contraintes oulipiennes (par exemple, s’interdire l’emploi de lettres fréquentes pour fausser l’analyse statistique d’un texte crypté et compliquer le décodage).

Pour finir, je ne peux manquer d'évoquer la réputation de l'ouvrage sur internet, suite à quelques recherches faites rapidement ce matin. Il est aujourd'hui étonnant, alors que le Necronomicon est sans aucune ambiguïté une invention de Lovecraft dont lui-même s'amusait, allant jusqu'à glisser des "private joke" sous forme de clins d'oeil à quelques amis dans sa grande collection d'ouvrages interdits compilant des vérités secrètes que l'humanité serait bien avisée de continuer à ignorer, que des lecteurs, sur plusieurs forums internet, semblent s'interroger sincèrement sur l'existence réelle de l'ouvrage, comme si le complotisme ambiant ou une appétence excessive pour l'ésotérisme (ce que Lovecraft lui-même méprisait comme du charlatanisme) avait fini par contaminer la lecture d'une oeuvre purement littéraire. A ce titre, à moins d'une ironie trop subtile pour que je l'ai perçue, ce canular littéraire suscite, sur certains forums, la déception de ceux qui s'attendaient à un ouvrage de magie qui leur aurait réellement révélé la vérité sur l'existence des Grands Anciens voire leur aurait permis de les invoquer. Ce qui pour le coup fait franchement un peu peur... Non que je redoute de voir cette nuit surgir à ma fenêtre des Yuggoth ou autres créatures cthulhuesques mais je ne m'attendais pas à une telle crédulité...

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Le Necronomicon - Précédé de Histoire du Necronomicon