Les Scouts d'Europe d'avant le « redressement » (1956-1962) de Michela Zuliani

Les Scouts d'Europe d'avant le « redressement » (1956-1962) de Michela Zuliani

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Emilien Halard, le 12 novembre 2024 (Inscrit le 19 mai 2016, 38 ans)
La note : 10 étoiles
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Les débuts mouvementés des scouts d'Europe

Ancien scout de France et scout d’Europe, je ne m’étais jamais penché sur l’histoire du scoutisme.

Et cela pour une raison toute simple : je constatais que dans ces deux mouvements, les directives nationales étaient fort peu suivies et qu’au fond le scoutisme était une activité qui se vivait avant tout au sein du groupe local.

En lisant le mémoire de Michela Zuliani sur les débuts de l’histoire agitée du mouvement Scout d’Europe, je dois cependant reconnaître que certains éléments de cette histoire ont bien eu un impact sur la courte expérience que j’ai eue du scoutisme.

Cet ouvrage est un travail universitaire. Il décrit la naissance d’un mouvement dont la nature a été profondément modifiée à deux reprises.

On peut ainsi décrire 3 étapes dans l’histoire des scouts d’Europe

1. 1ère étape : un mouvement européen et œcuménique

A l’origine, les scouts d’Europe sont un mouvement chrétien mais interreligieux. Son chef, Jean Léopold, est un chrétien orthodoxe et ses scouts sont de confession catholique, protestante ou orthodoxe ou même parfois de religion juive.

L’idée est de permettre à chacun de pratiquer sa religion dans le respect des croyances de ses camarades.
Cette cohabitation de différentes confessions entraine en 1959 le refus des évêques catholiques de reconnaître ce mouvement.

En effet, à cette époque, 5 années seulement avant le décret du concile Vatican II sur l’œcuménisme, la cohabitation d’adolescents de différentes confessions au sein du même groupe scout est perçue par l’épiscopat comme contraire à une « saine pédagogie de la foi ».

Quant à l’aspect européen du mouvement, ce n’est pas un projet politique à proprement parler.
Il s’agit de contribuer à la réconciliation des peuples européens, et en particulier de l’Allemagne et de la France.

Cela se fait par la multiplication des camps à l’étranger, par l’organisation de camps réunissant des groupes de différentes nationalités, par la mise en avant du drapeau européen et par l’appartenance à une structure commune réunissant les mouvements des différents pays.

2. 2ème étape : un mouvement catholique promouvant le régionalisme breton

En octobre 1962, arrivent dans le mouvement les scouts « Bleimor » de Pierre Géraud : un groupe scout d’abord établi en Île-de-France à destination des jeunes d’origine bretonne et qui essaima ensuite en Bretagne.

Ce groupe et son chef sont clairement catholiques. Et surtout, ils sont axés sur la défense de l’identité bretonne.

Ils étaient initialement rattachés aux Scouts de France, mais le refus par ceux-ci de prendre en considération leur spécificité et de conserver une province « Bretagne » les amène à changer d’organisation.

Au sein de la Fédération du scoutisme européen, ils espèrent voir reconnaître un district « Bretagne » qui serait l’égal du district « France » au sein d’une Europe des régions.

Deux mois après l’arrivée des scouts « Bleimor » au sein des scouts d’Europe, le fondateur de ces derniers, Jean Léopold, est accusé d’actes pédérastiques par un ancien scout.

Bien qu’il n’ait pas fait l’objet de condamnation en justice, les faits semblent avérés par plusieurs témoignages concordants.

Jean Léopold est rapidement contraint à la démission. Pierre Géraud et son projet régionaliste se trouvent dès lors seuls au pouvoir de l’association.

Mais très vite, l’Histoire s’accélère et ce projet s’efface devant des évènements plus importants.

3. 3ème étape : un mouvement catholique purement et simplement

Cette étape n’est pas vraiment décrite dans le présent ouvrage car l’auteur a voulu se limiter à la période 1956-1962.

Cependant, l’auteur fait référence à une thèse de Lionel Christien qui a été partiellement publiée sur Internet et m’a permis de découvrir la suite de cette histoire.

En 1964, la Direction des scouts de France décide une réforme qui mécontente un certain nombre de ses membres : d’importants changements pédagogiques (en particulier la séparation des classes d’âges en groupes différents) et une sécularisation discrète mais qui ira très loin dans les années suivantes.

Cette réforme a lieu en même temps que le début de la crise de l’Eglise postérieure au concile Vatican II.
Les chefs scouts et parents mécontents n’arrivent pas à faire valoir leur point de vue en interne.

Certains d’entre eux créent leur propre mouvement, les scouts unitaires de France, tandis que d’autres rejoignent les scouts d’Europe.

C'est notamment grâce à la communication de l'"Office", mouvement catholique de Jean Ousset, que l’existence des scouts d’Europe est portée à leur attention.
Ce mouvement aujourd’hui nommé d’Ichtus analyse les différents symptômes de la crise de l’Eglise et propose ses solutions.
Surtout, il a une audience très importante au sein des catholiques pratiquants de l’époque.

L’arrivée en masse d’anciens scouts de France au sein des scouts d’Europe modifie l’identité de ce mouvement.
En effet, si l’identité catholique et la pédagogie traditionnelle font consensus, le régionalisme breton n‘est pas la raison de l’arrivée des nouveaux venus.
Dès le début, Pierre Géraud est très conscient du risque de perte de l’identité bretonne des scouts d’Europe.
Il tente préserver le militantisme breton chez certaines unités de Bretagne en le dissimulant plus ou moins aux nouveaux cadres venus des scouts de France et de l’Office.

Cependant, cette dissimulation a l’effet inverse de celle espérée : la crise éclate quand les cadres du mouvement découvrent par hasard que Pierre Géraud édite une revue scoute et régionaliste réservée aux unités bretonnes.
Il faut dire que le contexte d’alors n’est pas favorable au projet scout breton : les attentats du Front de libération de la Bretagne ne sont pas de nature à attirer la sympathie des cadres de l’Office.
Ces derniers peuvent y voir une désagrégation supplémentaire de la France, quelques années après l’indépendance de l’Algérie.
Et cela d’autant plus que les milieux proches de l’Office ont globalement été plutôt favorables au maintien de l’Algérie française.

Au final, Pierre Géraud fait primer ses convictions religieuses sur son projet régionaliste : il demande aux chefs bretons de cesser leur activité militante.
* * *
Que retenir de ce double changement d’identité des scouts d’Europe ?

Le 1er enseignement est qu’un groupe ne peut maintenir son identité en s’ouvrant à des nouveaux venus que si la loi du nombre ne met pas les anciens en minorité : les 1ers scouts d’Europe de Jean Léopold avaient déjà été dépassés en nombre lors de l’arrivée des scouts Bleimor ; quant à la version bretonne des scouts d’Europe de Pierre Géraud, elle fut véritablement submergée par l’arrivée des anciens scouts de France.

Le 2nd enseignement est que lorsque l’identité d’un groupe a deux caractéristiques sans lien de nécessité logique entre les deux, il arrive que l’une des deux prenne le pas sur l’autre.
Ainsi, l’œcuménisme des 1ers scouts d’Europe fut sacrifié par Jean Léopold pour conserver et développer la dimension européenne en accueillant les scouts Bleimor.
Et la dimension bretonne militante des scouts de Pierre Géraud fut sacrifiée par lui pour conserver et développer le scoutisme catholique en France.

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