Le nihil et l'extase

Pénétrer dans ce roman de Monia Aljalis, c'est consentir à se laisser happer par un tourbillon de mots et de visions dont Paris forme à la fois le décor et le théâtre. Une ville que Monia célèbre en même temps qu'elle en dépeint le tumulte et les bas-fonds où s'y entassent ces anges déchus, perdants magnifiques victimes de leur époque. Errer sans autre but que de se fuir elle-même, telle semble la quête de Leyla, héroïne de ce roman, qui ne cesse de tituber et d'hésiter entre partir à la recherche de sens ou sombrer dans le nihilisme le plus total, déchirée qu'elle est par le conflit entre tradition et modernité.

L'irruption dans le corps de la langue d'éléments triviaux à la façon d'un Louis-Ferdinand Céline, avant d'être la marque d'un style qui par ailleurs emprunte au lyrisme le plus pur, vise à traduire ce conflit entre le sacré et le profane, entre ce qui élève et ce qui avilit. Leyla est pour ainsi dire victime d'une sorte de schizophrénie au sens deleuzien : déchirée entre l'aspiration à épouser le modèle occidental et son propre legs familial et culturel empreint de traditionalisme islamique. En toile de fond, on perçoit ainsi une critique du monde moderne qui ne réussit plus à se manifester qu'au travers de ses dérives : sexualité compulsive et effrénée, usage de drogues et d'alcools, violence et jeux de pouvoir dans les relations.

Et pourtant, c'est au coeur du miasme qu'éclosent les fleurs. Le tour de force en effet de Monia Aljalis est de faire jaillir la poésie et le sacré, incarnés par cette voix venue d'ailleurs qui est comme celle d'un ange gardien invisible, à la pointe de l'ordinaire et de l'insignifiant. L'idée que le fait d'en passer par l'avilissement est la voie la plus sûre pour atteindre l'extase n'est pas sans rappeler ce courant qui court de Sade à Genet en passant par Baudelaire et Bataille. Même si ici, la transgression n'est pas visée pour elle-même mais résulte davantage pour Leyla d'une incapacité à prendre place dans le monde sans se sentir coupable d'être tout simplement elle-même. Au bout de ce chemin qui semble mener nulle part, il y a l'idée que la poésie transcende l'ordinaire et nous offre finalement de cueillir la grâce.

• 

  L'Extase

  de Aljalis, Monia
  Seuil
  ISBN : 9782021543421 ; 19,00 € ; 19/08/2024 ; 192 p. ; Broché

  Go Amazon