Guerre à Gaza de Joe Sacco

Guerre à Gaza de Joe Sacco
(The War on Gaza)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 16 octobre 2024 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 9 étoiles
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L’« autodéfense génocidaire », la voie du pire

Alors que le massacre des Palestiniens de Gaza se poursuit allégrement depuis plus d'un an, dans la quasi-indifférence de l’Occident, Joe Sacco, qui a à maintes reprises évoqué le conflit israélo-palestinien à travers son œuvre, nous délivre un véritable coup de gueule. A lire de toute urgence.

Jusqu’où iront-ils ? L’attaque de l’armée israélienne contre la prison à ciel ouvert qu’est Gaza, attaque qui s’apparente de plus en plus à un génocide, prendra-t-elle fin un jour ? C’est la question que tout le monde se pose, au-delà des opinions… Alors que plus le temps passe, que plus les promesses de Netanyahou de ramener les derniers otages israéliens sains et saufs et de détruire le Hamas apparaissent comme une vaste escroquerie, les Etats-Unis et l’Europe font preuve d’un silence assourdissant et d’une quasi bienveillance à l’égard de la politique militaire de l’Etat juif. Lassé de se sentir impuissant, comme tous ceux que la situation révolte, Joe Sacco vient de publier cet ouvrage corrosif d’une trentaine de pages pour nous livrer sa vision des choses.

Le plus talentueux des bédéistes-reporters ayant souvent traité de la situation dans cette région du monde, avec notamment « Palestine » (publié en 1996 chez Rackam) et « Gaza 1956 » (publié en 2010 chez Futuropolis), il avait assurément la plus grande légitimité pour s’exprimer sur les massacres conduits par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou depuis les attentats du 7 octobre 2023. Ouvrage réalisé dans l’urgence, « Guerre à Gaza » est d’un format qui le rapproche d’un fascicule, mais où l’auteur dit exactement tout ce qui lui pèse sur le cœur concernant ce conflit, sans nul doute le plus grave depuis la création de l’Etat hébreu en 1956.

L’auteur semble avoir trempé sa plume et son pinceau dans l’acide pour exprimer une rage dopée par son impuissance face à la tragédie qui frappe Gaza et ses habitants, mais aussi sa révolte vis-à-vis de l’hypocrisie de son pays, les Etats-Unis (derrière lesquels s’abrite l’Europe, soit dit en passant), qui n’ont cessé d’envoyer de l’aide armée au gouvernement israélien depuis le début des bombardements, qui ont déjà fait plus de 30.000 victimes civiles. Au-delà du principal dirigeant concerné, Netanyahou, autant dire que Joe Biden en prend pour son grade. Son image de papy-gâteau (parfois plus gâteux que gâteau, il faut bien le dire) est violemment étrillée par Sacco, qui le montre sous un jour des plus cyniques en dénonçant les hypocrisies et la mauvaise foi de la Maison blanche, lorsque son porte-parole John Kirby annonce sans rire que les USA « pourraient aussi revendiquer le titre de principal bienfaiteur humanitaire ».

Le dessin de Joe Sacco accompagne avec véhémence cette dénonciation de ce qui apparaît de plus en plus comme un crime contre l’humanité. La violence de certains passages très réalistes — le plus souvent des images d’immeubles dévastés ou de ruines — est parallèlement transcendée par un onirisme féroce, qui n’en est pas moins une injonction adressée aux puissants de ce monde à réfléchir sur leur inaction, laquelle s’apparente dans le cas présent à de la complicité. On aimerait croire que le choc de ces images pourrait produire l’électrochoc escompté des cerveaux… Pour mieux décrire le malaise qui le ronge, l’auteur se met en scène au sortir d’un cauchemar paranoïaque, culpabilisant d’avoir contribué à financer par ses impôts une bombe décimant des enfants gazaouis, tout en constatant la politique sociale désastreuse dans son propre pays.

Ce qui semble également ulcérer Joe Sacco est que « dans le monde d’aujourd’hui, dire que l’on veut arrêter un génocide est considéré comme un discours de haine. Tandis que diffamer ceux qui veulent l’arrêter est un discours rémunéré. » Un postulat que l’on peut parfaitement vérifier dans la France de Macron, où la présidente de l’Assemblée elle-même n’hésite pas à afficher un pin’s du drapeau israélien, et où ceux qui émettent la moindre critique vis-à-vis de la politique d’Israël sont rapidement ostracisés, quand ils ne sont pas purement et simplement taxés d’extrémistes « islamo-gauchistes » voire antisémites par les canaux politico-médiatiques de droite. Pourtant, on se dit que ces ficelles langagières devraient finir par se voir tant elles ressemblent à des cordes grossières. En attendant, tant qu’il y aura des voix pour s’élever contre cette situation, on se dit que l’espoir reste permis.

A ce titre, Monsieur Sacco, comme les rares voix qui cherchent à se faire entendre — on peut évoquer Dominique de Villepin, tout récemment —, si l’on exclut ceux dont le discours est déjà habilement décrédibilisé, mérite toute la reconnaissance des citoyens du monde qui croient encore aux forces humanistes de progrès et du vivre ensemble. A l’inverse de nos hypocrites démocraties pour qui de lucratives politiques d’armements peuvent bien justifier des barbaries occasionnelles et localisées contre des « animaux humains ». Et parce qu’on ne peut parler ni de génocide ni de légitime défense, Sacco, de façon à la fois ironique et désabusée, propose cet oxymore approprié : « auto-défense génocidaire ». Afin peut-être d’alimenter la réflexion au sein de chaque camp, à défaut de les réconcilier…

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Extrait p.1 :

« Est-ce un génocide, ou un cas de légitime défense ?

Pour contenter tout le monde, disons que c’est les deux. Mais alors nous aurons besoin d’une nouvelle terminologie. Je propose « autodéfense génocidaire ». Ça devrait donner matière à réflexion aux deux parties. »

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Extrait p.9-8 :

« Toutes les quelques semaines, je rends visite à ma mère et ma sœur, à l’autre bout du pays. Maman a 95 ans, et même si elle ne se souvient peut-être pas de ce qui a été dit cinq minutes plus tôt, le lointain passé est une source inépuisable de souvenirs, surtout de souvenirs traumatisants :

« On dormait dans l’abri avec plein de gens. On aurait préféré être morts. C’était une période terrible. »

Elle a grandi à Malte pendant la Seconde Guerre mondiale, subissant ce qui était alors considéré comme les bombardements les plus implacables jamais menés.

Ma sœur et moi évitons de parler de la guerre de Gaza devant elle. Cela ne fait que raviver ses propres souffrances. Mais on oublie nos résolutions, et sa réaction est immédiate.

« On était affamés. On n’avait que la peau sur les os. Les bombes pleuvaient en permanence. (…) C’était une période terrible. »

En réponse à l’attaque de 7 octobre par le Hamas, May Golan, ministre de l’Egalité sociale et de la Promotion du statut des femmes d’Israël, a déclaré lors d’une audience à la Knesset :

« Je suis personnellement fière des ruines de Gaza. Et de penser que chaque bébé, même dans 80 ans, racontera à ses petits-enfants ce que les Juifs ont fait. »

Vu ce qui persiste dans l’esprit de ma mère après huit décennies, je dirais qu’il y a de bonnes chances que le rêve de la ministre May Golan se réalise. »

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