Aparthotel Deluxe de Edo Brenes

Aparthotel Deluxe de Edo Brenes

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 15 septembre 2024 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 377 

Mon voisin, cet inconnu si proche…

Le petit immeuble « Aparthotel Deluxe » est le lieu principal où se déroule l’action, il est aussi le nom éponyme de cette bande dessinée, avec une connotation gentiment ironique. En effet, il n’est pas question ici d’immobilier de luxe, ne serait-ce que parce que le bâtiment, bien qu’à l’architecture contemporaine, laisse apparaître des signes d’usure. Certains autres indices, tel ce mendiant assis à proximité, montrent qu’il n’est pas non plus situé dans les beaux quartiers. Les gens qui l’habitent font partie d’une classe moyenne subissant plus ou moins les effets de la crise économique, et ce sont eux qui vont intéresser Edo Brenes.

Si ce récit choral a pour théâtre la ville de San José au Costa Rica, d’où l’auteur est originaire, il pourrait se dérouler (presque) n’importe où ailleurs. « Aparthotel Deluxe » parle du monde moderne, à travers les états d’âme de ses résidents, abordant des thèmes devenus universels.

Plusieurs protagonistes vont ainsi défiler au fil des pages, qu’ils soient célibataires, en couple ou divorcés, avec des occupations très variées. Il y a tout d’abord cet homme qui vient de perdre son père (celui qui est mort en sortant de sa douche) et doit organiser le tri dans son appartement. Puis l’épouse du concierge qui part visiter sa mère et tente de culpabiliser son mari enclin à l’alcoolisme, cet autre homme qui aime s’habiller en femme et a une relation d’amitié avec Tina, une prostituée, puis ce jeune père en instance de divorce qui tire le diable par la queue, ou encore ces jeunes parents qui pouponnent tout en matant des séries…

A travers les discussions ou états d’âme de ces personnages, Edo Brenes nous fait pénétrer leur intimité. C’est bien sûr d’abord du deuil dont il est question avec ce fils tout juste orphelin qui inaugure le récit. Celui-ci est en proie à mille questionnements, perdu dans les souvenirs incarnés par divers objets probablement voués à disparaître dans les cartons. Mais d’autres thèmes sont développés, et ceux-ci sont en corrélation avec un monde qui change, hésitant entre l’archaïsme et la modernité, notamment celui de l’orientation sexuelle. C’est par le biais du personnage de Garçon, un homme qui aime porter des vêtements féminins, que cette question de l’acceptation de l’autre dans ses différences qui va se poser au lecteur. Et ici, on est bien au-delà des clichés. Certes, s’il songe à se faire poser des implants mammaires, il tient à conserver son pénis. Et qui plus est, il est profondément croyant. Un passage qui déroutera sans doute les esprits les plus réactionnaires, ceux qui, pour reprendre une citation de Garçon, « n’arrivent pas à comprendre que l’essence de la moralité réside dans l’absence de jugement ». Plus globalement, c’est le poids des valeurs catholiques sur la société qui apparaît en filigrane — même si le Costa Rica compte un nombre de pratiquants similaire à celui des pays « développés » — mais comme en France ou ailleurs, on ne se débarrasse pas aussi facilement de mœurs imposées par deux mille ans de christianisme.

L’approche d’Edo Brenes, tout en nous faisant découvrir une des facettes d’un pays davantage connu pour son côté « carte postale », nous livre une œuvre profondément humaine, faisant confiance à la capacité empathique de ses lecteurs. Ses personnages sont plutôt attachants car d’une certaine manière, c’est avec nous qu’ils conversent, avec les mêmes questionnements, les mêmes préoccupations, celles d’un monde où les rapports sociaux se distendent, souvent avec notre consentement, sous l’influence de Netflix et d’internet. Car à l’exception de la jeune Istaya, quel autre voisin se serait rendu compte si rapidement qu’il se passait quelque chose d’anormal chez monsieur B. ?

La ligne claire, simple et agréable, est bien en phase avec le propos, certes audacieux mais sans volonté de provoquer gratuitement. Cadrage impeccable, couleurs sobres, Brenes maîtrise parfaitement les codes de la BD franco-belge avec une touche de modernité.

Œuvre sensible invitant à la réflexion, « Aparthotel Deluxe » est la quatrième bande dessinée d’Edo Brenes dont on a pu découvrir récemment « Touristes à la Havane », et, nous prévient l’éditeur, le premier roman graphique créé directement pour lui. Ainsi, on ne sera guère surpris de voir cet auteur, déjà récompensé par divers prix à l’étranger, émerger doucement mais sûrement dans le petit monde du neuvième art. Et on est d’autant plus ravi quand celui-ci vient d’un pays qui n’est pas forcément connu pour sa production en la matière.

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