La Grande Peur dans la montagne de Charles-Ferdinand Ramuz

La Grande Peur dans la montagne de Charles-Ferdinand Ramuz

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 19 décembre 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 573ème position).
Visites : 12 072  (depuis Novembre 2007)

La peur est en nous

"La Grande Peur dans la montagne" pourrait être qualifié de formidable coup de bluff au sens noble du terme, à savoir que le talent de Ramuz conduit le lecteur selon la bonne volonté de l'auteur, lui faisant croire tout et n'importe quoi sans jamais rien affirmer.
L'histoire est assez simple. Un alpage est abandonné depuis une vingtaine d'années. La commune rurale de Sasseneire, propriétaire du bien, est pauvre et ses finances auraient bien besoin du produit de la location de cette partie de montagne. Vingt ans auparavant, un drame s'est produit là-haut, attribué au Malin, un événement mystérieux dont on ne sait pas grande chose si ce n'est qu'il y a eu des morts. Depuis, plus personne n'y est retournée. Le président du Conseil Général convainc une partie des habitants que c'est de l'histoire ancienne, les pâturages sont loués et quelques hommes montent au chalet avec un troupeau.
Tout cela nous est raconté par C-F Ramuz avec une simplicité de langage mêlée à une grande force de narration, fourmillant de détails, dressant le portrait de chacun ou décrivant les ambiances avec beaucoup de réalisme. D'entrée de jeu, Ramuz crée une atmosphère inquiétante avec la seule aide de nuages noirs, de vents bruyants, de silences assommants, de bêtes nerveuses. C'est l'homme qui a peur, sa peur est collective et contagieuse. Beau travail de Ramuz sur la puissance de la rumeur et la terreur face à l'inconnu. Non pas que l'homme soit un pleutre de nature mais la témérité ne fait pas partie de ses valeurs essentielles. Ramuz ne condamne pas, il n'ironise pas, il se contente de raconter.
Alors que le lecteur commence à se dire que ces paysans ont peur de peu de chose, une étrange maladie (fièvre aphteuse, grippe animale, quelque chose de ce genre, maladie contagieuse qui décime rapidement le troupeau) que Ramuz ne nomme pas ajoute un caractère inquiétant à la peur ambiante. Il n'en faut pas plus pour que chacun devienne fou et ce qui devait arriver arrive: la mort. L'un puis l'autre et ainsi de suite. A chaque fois un concours de circonstances, mais en-bas, on associe cela à l'œuvre du démon, la montagne est maudite.
C'est le récit d'un début et d'une fin, avec entre les deux de la peur et rien d'autre. Qu'est-ce qui provoque cette terreur? Nous ne le saurons pas avec exactitude. Il y a bien quelques pistes: maladie du bétail qui semble d'origine naturelle, tempête violente, éboulement de gravas… mais derrière tout cela règne une ambiance noire et morbide (quel chic pour cela chez Ramuz!) qui finit par empêcher toute explication rationnelle. C'est le grand message de ce livre: la peur empêche de réfléchir rationnellement et d'agir efficacement, elle peut mener à tout, même (surtout?) au pire.
Belle lecture prenante, un livre qu'on lit d'une traite, en imaginant qu'il se trame une sombre machination là-haut alors qu'elle se passe avant tout dans notre tête.

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La montagne

7 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 20 mars 2022

L'histoire se déroule en Suisse aux abords des années 1920 dans un village reculé au pied d'une montagne surmontée d'un glacier.
L'idée du chef de village était de restaurer un alpage oublié qui permettrait de conduire une grande partie du bétail profiter d'une nourriture abondante là-haut. Les anciens de la communauté crièrent au loup car vingt ans plus tôt il s'était passé là-haut des choses.
Quelles choses ? on ne sait plus, ou on ne veut plus en parler, ou alors on préfère oublier.
On se réunit et on vote. Le principe de l'alpage présenterait des avantages financiers importants pour tous. Les bâtiments sont restaurés, le groupe constitué, le troupeau assemblé et hop hop hop on y va joyeusement.
Arrivé là haut, le premier jour se passe comme un rêve, la première nuit par contre ressent quelques grincements et puis tout s’enchaîne... La maladie des bêtes, les hommes se querellent, la folie guette et pendant ce temps la situation se dégrade.
L'auteur décrit de façon pointilleuse les événements mais il se garde bien de donner la moindre explication. Au contraire, le texte est parfois confus avec des "travellings" curieux. Le style est bigarré : luxuriant et précis sur les descriptions ayant rapport avec le somptueux décors de "la montagne". Par contre pour les relations humaines il exerce une froideur déroutante. Au niveau grammatical, Ramuz va loin ; le texte passe du passé au présent dans la même phrase, préparant une phrase allant dans le futur. Un peu déstabilisant.
Après quelques recherches (mais cela reste à approfondir), le parler commun suisse du début du vingtième siècle dans la paysannerie faisait abstraction du temps dans les échanges verbaux. Quel que soit le message, importait sa teneur et les lieux, la notion du temps était floue. Avoir faim pouvait se dire "j'ai bien mangé" !

Je ne suis pas certain qu'un lecteur lambda allant passer un mini trip dans une chambre d'hôte d'il y a un siècle comprendrait une seule phrase des autochtones.

Ceci étant dit, ces pages furent appréciées. Si l'envie devait vous prendre d'aller rendre visite à cette montagne qui rend fou, le voyage ne coûte que quelques euros ou se trouve gratuitement dans une bonne bibliothèque

Un gentil village de montagne, des vaches et... de l'angoisse

7 étoiles

Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 51 ans) - 4 décembre 2013

J’ai découvert Ramuz par l’intermédiaire de Bernard Rapp et son émission « un siècle d’écrivains ». Lu dans la foulée, ce livre ne m’avait pas marqué sans que je ne sache trop pourquoi. Une deuxième lecture de « la grande peur dans la montagne » s’imposait et je ne le regrette pas.

Ouvrage principal de Ramuz auteur helvétique qui reste encore méconnu. Le roman a pour cadre pastoral le massif des Alpes. Cependant il règne une tension dans le village entre les anciens et les représentants du village plus jeunes. Ces derniers souhaitent louer des alpages inutilisés depuis 20 ans et les anciens rappellent que la dernière fois que des hommes sont montés, il y a eu des morts.
Bien sûr, la superstition perdra face à la réalité des besoins et un groupe d’hommes du village monteront s’occuper des bêtes avec le propriétaire du troupeau. Les malheurs vont alors se succéder.

L’essentiel du livre est très plaisant avec une écriture et un romantisme un peu surannés mais qui évoquent magnifiquement la vie à la montagne de cette époque. L’angoisse monte au fil des pages, mais la dernière partie est moins bien maitrisée. En définitive on peut avoir une petite déception qui occulte un peu le vrai plaisir de lecture du début.

Fantastique

8 étoiles

Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 15 juin 2013

Un petit village de montagne, qui vit de l'élevage. De vieilles peurs à propos d'un alpage où des événements confus se sont déroulés il y a 20 ans. Un jeune éleveur qui décide de profiter de cette bonne herbe. Va-t-il trouver des gens assez fous pour aller y passer l'été ? L'appât du gain est plus fort et le troupeau monte à l'estive. Mais subtilement les incidents alimentent la superstition et la peur s'installe.

Ce livre est remarquable pour le suspense qu'il instaure, pour la psychologie des personnages qu'il met en place, pour la pudique et très forte histoire d'amour entre Joseph et Victorine. Remarquable aussi, même si il complique un peu la lecture, le style légèrement heurté qui reproduit la rudesse et la simplicité des montagnes et de ses habitants.

Bien mené...

7 étoiles

Critique de Virgile (Spy, Inscrit le 12 février 2001, 45 ans) - 26 mai 2011

... mais je n'ai pas été totalement transporté par ce court livre. Sans doute était-ce dû a une lecture trop hachée, je crois que c'est un bouquin à lire d'une traite pour vraiment s'immerger dans son atmosphère.

De belles descriptions, une histoire très classique mais bien menée, des personnages archétypaux, un style qui m'a un peu dérouté au début mais qui sert bien la narration, bref un bon livre à conseiller aux amateurs de fantastique même si tout est dans la suggestion (quoique cela reste ambigu).

Merci au critiqueur qui l'a amené à la rencontre CL Parisienne de cette année (je pense qu'il s'agissait de Ludmilla?) et grâce à qui je l'ai découvert. :o)


Doomed

9 étoiles

Critique de Antinea (anefera@laposte.net, Inscrite le 27 août 2005, 45 ans) - 25 avril 2011

Dans un petit village de montagne, les discussions vont bon train : doit-on renvoyer des bêtes dans le pâturage du haut ? C’est que vingt ans plus tôt, de bien vilaines choses, dont on ne sait rien ou presque, s’y sont déroulées, entrainant la mort de certains hommes. Mais pourquoi ne pas tenter de nouveau ? L’herbe est verte là-haut, le village ne vit que de ses vaches et de ses fromages…

Une petite majorité, menée par des jeunes, autorise la nouvelle expédition. Hommes et bêtes retournent donc sur le versant non sans quelques a priori… bien justifiés…
C’est une histoire géniale, très très bien menée. On ne lâche que difficilement ce petit livre qui fait sombrer un petit village dans la peur et le chaos. Par contre, le style ne m’a pas plu du tout : il se veut simple ou campagnard, mais m’a apparu mauvais, voire incorrect (« malgré que »). Une lecture qui m’avait été conseillée et qu’à mon tour je recommande vivement !

Sublime !

10 étoiles

Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 9 novembre 2006

Ce roman est sublime !
Trois ans avant que Giono ne publie "Colline", Ramuz a publié ce chef d'oeuvre qui a un peu le même ressort romanesque que "Colline" (ou plutôt c'est le contraire puisque justement "La Grande Peur Dans La Montagne" est antérieur à "Colline").
Ce ressort romanesque c'est la peur qui s'empare d'une communauté devant un ensemble de phénomènes (dont certains sont totalement illusoires) inquiétants. Ramuz excelle à montrer la propagation de la rumeur puis la transformation de celle-ci en peur jusqu'aux drames...
Au-delà de ce ressort efficace, ce récit est illuminé par le style poétique de Ramuz (style poétique qui englobe les hommes, les animaux et la nature individuellement et dans leurs relations). Quelle langue magique tout en étant réaliste !
Ce roman présente aussi une galerie de personnages bien fouillés, à la psychologie crédible, et qui sont une représentation synthétique du monde tel qu'il est et a toujours été. Notamment, le couple d'amoureux (Joseph et Victorine) qui est au centre de ce roman est particulièrement bien réussi. Et que dire du "Président" (l'équivalent du maire), du Clou, de Barthélémy, de Romain, ... Chacun de ces personnages a une valeur symbolique et métaphorique.
Un moment de lecture inoubliable...

Il est temps de découvrir Ramuz (dont l'ensemble des romans est sorti en Pléiade en 2 volumes fin 2005). Je ne dis pas redécouvrir car Ramuz est malheureusement trop peu connu et je pense, de toutes façons, que ceux qui l'ont déjà découvert ne peuvent l'oublier (et n'ont donc pas besoin de le redécouvrir).

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