Pour ainsi dire de Georges Perros
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Une écriture timbrée
Excellente idée des éditons Finitude de poursuivre la publication posthume de textes de Georges Perros, cet écrivain singulier, et moraliste, dont les passions furent le théâtre (il joua à la comédie française, fut l’ami de Jean Vilar et Gérard Philipe), l’écriture et la Bretagne. Ses Papiers collés (3 tomes) et ses Poèmes bleus ont marqué une époque de la vie littéraire. Ecrivain du fragment, du quotidien et de l’instant dans ce qu’ils recèlent d’universel, il coule sa pensée dans des formules qui sont autant d’aphorismes (le site Evene en relève une cinquantaine). Les mots « absurde » et « homme » reviennent souvent dans ses textes (il appréciait évidemment Camus), signe qu’il avait très tôt perçu que les moyens d’améliorer la vie (souvent d’ordre technologique) ne pouvaient la rendre foncièrement meilleure ou amener le bonheur. Les textes ne sont pas datés (excepté le journal de son voyage au Caire en 1950), ce qui leur confère une valeur intemporelle. On comprend qu’ilsont écrits à une époque (celle du structuralisme triomphant) où « on s’intéresse beaucoup moins à ce que pense un homme qu’à la « situation » de sa pensée, où « l’art moderne anesthésie » et où « l’art musical va contre la mélodie », où on commence à démonter les mécanismes de l’hérédité et où Bardot est déjà un « mulet produit de l’accouplement du cheval et de l’ânesse » (Littré).
C’est aussi un critique lucide. Voici ce qu’il dit de quelques écrivains.
Sur Barthes : « Il n’accepte d’être ému qu’en accord avec ses pouvoirs mentaux. »
Sur Robbe-Grillet. « Robbe-Grillet : roman muet. A lire à haute voix. »
Sur Michaux : « Rapide, fulgurant, à peine le temps de se faire savoir qu’il « écrit », il tache son espace mental[ ...] il est sous haute tension. Un des rares vivants de notre époque [...] Minimum d’art de composition, d’arrangement. Brut ».
Sur Butor : « Tout profite à Michel Butor. Rien de perdu, jamais pour lui. Où qu’il aille, quoiqu’il lise, regarde, entende, il semble qu’une poche enregistreuse lui en conserve l’essentiel, l’inventé. Le poème est au commencemetn et au bout de sa tenace détermination. »
Sur Mallarmé : « Mallarmé est un grand homme... Nous venons tous de Mallarmé, quand nous tous faisons quelque chose d’un peu valable. »
Sur Cocteau : « Cocteau , ou le génie de n’en pas avoir. »
Dans un article consacré à Camus dont on comprend qu’il fut son modèle, il déclare : « En France actuellement, combien d’hommes d’esprit peuvent nous surprendre? Combien dont l’œuvre prochaine nous préoccupe. Dont nous sommes impatients. »
Des observations intemporelles, je vous le disais.
Quelques citations enfin...
Ce qui m’étonne le plus dans les lieux que j’aime, c’est qu’ils soient toujours là quand j’y retourne. Je pourrais étendre la chose aux rapports que j’ai avec les hommes – et les femmes. La continuité est surprenante. Comment s’y faire ? Est-il nécessaire de s’y faire ?
L’amitié ne se distingue de l’amour que dans l’immédiat. L’amour exige un acte ; l’amitié, mille. C’est perpétuellement qu’on est l’ami d’un homme. C’est par saccades qu’on est l’amant d’une femme. L’amitié est spirituelle ; l’amour, temporel.
Les grandes amours sont « mâles » parce que, paradoxalement, elles n’impliquent pas ce qui, en chacun s’ignore : la passion.
La vie rétrécit au lavage mental.
Tous les lieux se ressemblent au bout de huit jours, comme les êtres.
Chaque fois qu’on rencontre un homme, on redevient quelqu’un. Et tous les hommes déjà rencontrés reprennent un sens.
La liberté est un rêve, comme la femme. Possédée, elle bouche l’horizon.
Comment un personnage pourrait-il penser? Dès que la formule apparaît, le fait théâtral disparaît.
Il y a très peu de vrais ratés. De ratés réussis.
On rêve d’un théâtre où il ne se passerait rien. Ce théâtre existe. C’est la vie.
Je ne peux écrire que quand je ne pense pas à moi. Quand je me suis absent. Parce que je me déteste. Je suis écrasé. Pour écrire, pour pouvoir écrire de manière timbrée, il faut que je sois pris au dépourvu.
Ecrire transfigure la vie. Mais ne la change pas.
Au théâtre on dort en rêvant la pièce qui se joue sur la scène.
Ecrire, c’est dire quelque chose à quelqu’un qui n’est pas là. Qui ne sera jamais là.
C’est pour avoir la tête qu’on veut le sexe : peine perdue.
La démarche est la diction du corps.
Les mots laissent passer le texte, comme les fleurs, le vent.
Préférer M. Chevalier, Mistinguett – timbre – à Caruso – voix.
Il faudrait être assez fort pour ne pas aimer qui ne nous aime pas. Et personne ne nous aime.
On n’est communiste qu’à distance. Peut-on l’être avec nos proches, nos amis ?
Incapable de rendre heureux ceux qui le touchent de près, il s’en va à la poursuite du bonheur de ceux qu’il ne connaît pas, ne connaîtra jamais.
La peur de décevoir est une des pires décimales de l’orgueil.
Les éditions
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Pour ainsi dire [Texte imprimé] Georges Perros
de Perros, Georges
Finitude
ISBN : 9782912667199 ; 42,00 € ; 07/04/2004 ; 188 p. ; Broché
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La malle aux trésors
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 16 juin 2006
Perros rend hommage à certains de ses pairs, il rédige des portraits, émet quelques commentaires acerbes, livre des compte-rendus d'ouvrages qui lui sont chers. Il nous parle de théâtre, de cinéma, de voyage, de littérature et de bien d'autre chose. Parfois des petits riens qui se révèlent essentiels.
Ouvrir ce volume, c'est comme explorer une malle oubliée au fond d'un grenier et y trouver toutes sortes de trésors dont chacun a une histoire particulière. C'est à savourer, lentement et longuement.
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