Yves Peyré enfer et paradis

Yves Peyré en dehors de ses hautes fonctions est un poète discret et un critique attentif. Il a découvert dans sa maison des clous et des fers dans la terre comme dans le bois des poutres ou les murs. Ces objets hors d’usage l’ont saisi par leur simplicité et il a décidé de les honorer en leur offrant un nouvel « espace » à travers poèmes et réflexion entrecroisés en un méli-mélo comme on en trouve dans ces boîtes où l’on range ce qui ne sert plus on ne sait trop pourquoi puisqu’on ne s’en servira jamais. Le poète a inventé à ces reliques vulgaires leur histoire, leur psychologie et leurs désirs. Il rend à la ferraille rouillé une forme de sacré à laquelle elle ne s’attendait pas.

Une telle pétition de principe ne pouvait que croiser les divagations graphiques du graveur Robert Groborne. Si bien que cette « Parade » s’écrit à quatre mains. Le lecteur et regardeur s’attarde sur l’une et l’autre des productions. Les deux créateurs jouent sur l’effet de figuration et d’abstraction chacun à leur manière. Le réel y apparaît de manière diffractée et non sans humour. Robert Groborne retire des strates de matière. A ces soustractions inhérentes au principe de la gravure se superposent les remplissages existentiels du poète. Jean Degottex d’un côté, Francis Ponge de l’autre ne sont pas jamais loin afin que la nature « morte » reprenne vie.

Robert Groborne a hérité de son maître Hans Arp le sens de l’épure et l’attrait du noir et blanc. Ce dernier renvoie bien sûr à l’écriture de Peyré. Cette confrontation donne aux objets usagés un aspect bifaces. La calligraphie gravée renvoie à une calligraphie littéraire. Groborne retrouve ici un dialogue comparable à celui qu’il mena avec sa « Lecture du "Livre des ressemblances" d’Edmond Jabès » paru déjà chez Aencrages en 1981.

Ce que la parole lie, la gravure le délie et vice versa. Si bien qu’entre Groborne d’une génération antérieure à Yves Peyré le courant passe. Les deux luttent conte la surface. Il la dépasse. La gravure et l’écriture deviennent épaisseur et temps. Elles donnent une illusion de profondeur, des effets de matité brisent l’obscur et le piège des contours simplement utilitaires et pratiques. Se crée la débandade des horizons afin de montrer des confins où s’amorce une autre histoire. L’outil s’échappe, s’envole en divers glissements de niveaux.

Images et textes deviennent deux fleuves adjacents jusqu’à leur jonction comme en celle de l’avant et de l’après. Les deux créateurs y nouent des entrelacs et des enchâssements. Et si tout ici témoigne d’une chute dans le temps de l’oubli, tout témoigne aussi d’une remontée et contredit la perte d’utilité comme celle de mémoire. On passe de l’en fer rouillé au paradis rêvé.


Jean-Paul Gavarrd-Perret

Message de la modération : Les §4 et 5 contiennent des extraits d'articles sur "Les surfaces troublées" de L Calloud (2012) et « Appelé à disparaître » de P Grouix

• 

  Parade de clous et diverses ferrailles [Texte imprimé] Yves Peyré [gravures de] Robert Groborne

  de Peyré, Yves Groborne, Robert (Illustrateur)
  AEncrages & Co / Écri(peind)re
  ISBN : 9782354390532 ; 21,00 € ; 07/09/2012 ; 1 vol. (non paginé [51] p p. ; Broché

  Go Amazon