Passagère du silence : Dix ans d'initiation en Chine de Fabienne Verdier
Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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Tel un pin façonné par le vent
"Je compare la vie d'un homme à la terrifiante beauté d'un bonzaï ou d'un vieux pin sur les récifs en bord de mer qui a pris les plis du vent avec le temps. On le juge beau à l'automne de sa vie, mais quel sacrifice a-t-il dû accepter pour pousser ainsi ?
S'il a connu un destin singulier, c'est que, dès sa tendre enfance, il a été éprouvé par les tempêtes, ballotté par les vents, les intempéries de toutes sortes. Déraciné, transporté d'un milieu à un autre, subissant les affres d'acclimatations bizarres, il n'est plus jamais à l'aise ni dans un lieu ni dans un autre... Il recherche alors, forcément, inlassablement, l'unité primordiale perdue." Déracinée, transportée d'un lieu à un autre... Ce fut le choix de Fabienne Verdier, jeune peintre française, fraîchement émoulue de l'école des Beaux-Arts de Toulouse que de tout quitter et de partir en Chine pour étudier la calligraphie et la peinture chinoises classiques à l'Institut des Beaux Arts de Chongqing, dans le Sichuan. Et les tempêtes, les intempéries façonnant ce vieux pin sur les récifs en bord de mer donnent une assez juste idée des difficultés et des souffrances auxquelles elle a été confrontée pendant ses dix années d'apprentissage.
Fabienne Verdier est donc partie en septembre 1983, débordante d'enthousiasme, pour le pays "des lettrés et des peintres, le pays du raffinement et de la poésie, de la sagesse et de la cuisine". Après les épreuves du voyage, l'humiliation endurée pendant l'escale à Karachi, l'arrivée à Pékin avec plus de 24 heures de retard, l'interminable voyage jusque Chongqing (six jours dans un train surpeuplé), c'est la découverte de conditions de vie très dures et la déception face à l'enseignement prodigué par l'Institut des Beaux Arts... L'atelier de peinture chinoise s'inscrit dans la plus pure tradition du "réalisme socialiste", glorifiant l'ouvrier et le paysan, tandis que la professeur de gravure sur bois s'attache à magnifier l'allure exotique des ethnies minoritaires (Yi, Buyi, Miao...) dans "un style curieux qui faisait tomber celui de Klimt dans la mièvrerie pour le faire basculer vers celui de l'affichiste tchèque Mucha".
Impossible de ne pas être impressionné par la persévérance, l'acharnement même, dont Fabienne Verdier a fait preuve pour obtenir tout d'abord l'autorisation d'étudier le dialecte du Sichuan et s'affranchir des services de son interprète, et puis pour partir à la rencontre de la Chine authentique, celle des bateliers du Yang Tsé, celle des vieux qui jouent au mah-jong dans les maisons de thé du bord du fleuve, celle de l'opéra traditionnel qu'elle allait écouter avec ses camarades d'étude, le soir, en faisant le mur... Un acharnement qui commence à porter ses fruits lorsqu'elle rencontre le maître peintre et calligraphe Huang Yuan qui deviendra son professeur et son guide dans la découverte de l'art et de la pensée chinoise, une pensée de l'Equilibre, du "Juste Milieu", loin de notre dualisme occidental: "Il était difficile à suivre; il disait une chose et son contraire le lendemain. Son enseignement n'était jamais un discours, une démonstration, une théorie. Il procédait par touches, à la fois opposées et complémentaires, pour que, peu à peu, je parvienne de moi-même à l'équilibre."
"Passagère du silence" est le très beau récit de cette rencontre entre orient et occident, entre les "Propos sur la Peinture du moine Citrouille Amère" de Shitao et le "Livre de l'intranquillité" de Fernando Pessoa, entre William Blake ("Voir un univers dans un grain de sable / et le ciel dans une fleur des champs. / Tenir l'infini dans sa paume / mettre l'éternité dans une heure.") et le peintre Bada Shanren ("Ah, l'univers entier / Dans une fleur de lotus!). C'est aussi le récit d'une quête de soi, d'un parcours de vie difficile et douloureux, poursuivi dans une grande solitude. Une solitude renforcée par l'incompréhension des proches ("Comment lui faire comprendre la mutation intérieure que j'expérimentais à ce moment-là? J'avais commencé une initiation véritable et je ne pouvais plus retourner en arrière."). Une solitude parfois illuminée par la rencontre d'autres excentriques en quête d'une grande aventure poétique (le photographe Franck Horvat, arpentant les rizières du Sichuan à la recherche d'un bel arbre, le cinéaste Joris Ivens cherchant "l'impossible réalité du vent"...).
Un livre très dense, défiant toute tentative de résumé. Un livre exigeant, pudique et qui m'a profondément touchée. Et un de ces livres rares qui continuent longtemps à aller leur chemin dans l'âme du lecteur...
Les éditions
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Passagère du silence [Texte imprimé], récit Fabienne Verdier
de Verdier, Fabienne
Albin Michel / Essais et Documents
ISBN : 9782226141859 ; 5,03 € ; 03/09/2003 ; 304 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (3)
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Intéressant, riche mais quelques longueurs
Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 2 octobre 2024
A travers le récit de l'autrice on pénètre dans la vie quotidienne des Chinois. Toutes les difficultés pour qu'un étranger puisse côtoyer les autochtones et entrer en contact avec les détenteurs d'un savoir ancien renié par les différents régimes successifs se révèlent au fil du récit.
Sans jamais développer des convictions ou des théories politiques, uniquement en narrant sa vie quotidienne, l'autrice expose les effets des différentes périodes sur l'art et les artistes.
Les difficultés de la vie quotidienne sont rapportées sans ambages mais également sans exagération. L'autrice nous raconte son quotidien, simplement.
Plusieurs passages donnent également les bases des différents courants artistiques chinois.
L'ensemble est globalement intéressant mais souffre de quelques longueurs et parois de redites qui cassent le rythme de lecture.
Bien qu'intéressé par le sujet il m'a fallu persévérer pour aller au terme de l'ouvrage.
Récit d’une ascèse
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 15 novembre 2010
On ne peut qu’être fasciné par la force de caractère de Fabienne Verdier, qui faisant preuve depuis son enfance d’une capacité de renoncement , accomplit , au terme d’une ascèse de plusieurs années, une sorte de mutation intérieure lui permettant d’atteindre , grâce à un cheminement accompli aux côtés des « derniers détenteurs de la tradition esthétique chinoise » ce qu’elle désigne par « une compréhension limpide de l’unité du monde »
( On peut compléter la découverte de cette artiste en allant sur son site www.fabienneverdier.com . Rédigé en anglais, il présente ses œuvres, les peintres qui l’ont inspirée et surtout un intéressant bloc notes qui prolonge utilement la lecture de : Passagère du silence )
Si ce récit empreint d’émotion esthétique est un hommage rendu à ses maîtres chinois, « ces derniers maillons de la chaîne de l’histoire de la peinture, ces passeurs d’éternité, ces héritiers du patrimoine de l’humanité ….ils osaient parler de l’insaisissable, et par la voie des arts , se libérer des entraves », laissés pour compte du régime après avoir été interdits, bannis, emprisonnés, ce récit constitue aussi la relation du quotidien difficile et inconfortable des étudiants, des liens fraternels qu’elle a pu lier avec certains d’entre eux . Il présente, plus largement encore, un état des lieux sans concession d’une « Chine nouvelle de brutes corrompues, de cadres du Parti vénaux, d’analphabètes vaniteux »
Grandeur et décadence de l’empire du milieu !
Impressionnant
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 8 septembre 2006
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