La révolte des anges de Anatole France
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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« La victoire est Esprit », « on ne devient Dieu que par la connaissance »
Alexandre d’Esparvieu, aïeul d’une noble famille française, avait une noble passion : les livres… nobles, cela s’entend, pas de vulgaires romans dans lesquels le peuple trouve son contentement et sa distraction. C’est ainsi qu’à sa mort, sa bibliothèque contenait la bagatelle de trois cent soixante mille volumes, imprimés ou manuscrits, parfois annotés de la plume de quelque personnalité. On y trouvait tout ce qui faisait référence dans les domaines de la religion, de la science et de la philosophie. Le baron, voulant que sa bibliothèque lui survive et reste la plus fournie, avait inclus dans son testament une clause exigeant de ses héritiers le même perfectionnisme. Et l’on vit, fort logiquement, ses fils et petits-fils prendre grand soin des précieux volumes, en acquérir de nouveaux et par là même montrer leur fidélité à l’égard de l’ancêtre et de l’institution « famille ».
Très vite, se fit sentir la nécessité d’engager une personne pour répertorier les ouvrages, les classer ou veiller aux réparations éventuelles. Monsieur Sariette s’acquitta consciencieusement de sa tâche, montrant même un zèle inhabituel à l’égard de ce qui, il faut bien le dire, constituait toute sa vie. On peut donc comprendre aisément que cet homme perdit peu à peu la raison lorsque, arrivant à son vénéré poste un matin, il vit certains volumes épars, ouverts, superposés dans le désordre le plus total. D’autres jours, il constata avec effarement des disparitions dans les rangs serrés de ses étagères. Le comble fut atteint lorsqu’il se fit assommer par l’un de ses tomes chéris et qu’il le vit ensuite s’envoler par la fenêtre. Mais où allait-il donc ?
Le fils de la maison, Maurice, possède en ville une garçonnière où il a coutume de recevoir ses maîtresses, femmes mariées cela va sans dire. Lorsque madame des Aubels, au moment crucial de l’action, se redresse et crie « Qu’est-ce que c’est que ça ? », Maurice est loin de s’en imaginer la raison. Dans un coin de la pièce, un visage était apparu. Maurice, bien forcé de s’interrompre, constate lui-même la chose. Se détachant de l’ombre, le corps s’approche et, d’une voix rassurante, se présente : « Je suis l’ange gardien de Maurice ». Cet ange, qui se fait appeler Arcade, s’ennuyant au-delà de toute mesure à tenter de guider Maurice, s’est plongé dans la littérature. Il y a découvert d’où venait le monde et les hommes. Ses yeux se sont ouverts et il n’a plus qu’une idée à l’esprit : renverser Dieu, mener une nouvelle fois le combat de Lucifer ! « Ayant, disait-il, étudié la nature, il l’avait trouvée en perpétuelle contradiction avec les enseignements du Maître qu’il servait. Ce seigneur, avide de louanges, qu’il avait longtemps adoré, lui apparaissait maintenant comme un tyran ignare, stupide et cruel. Il l’avait renié, blasphémé, et brûlait de le combattre. Son dessein était de recommencer la révoltes des Anges. Il voulait la guerre, espérait la victoire. »
Ce livre est un must ! Que l’on assiste aux réunions des anges révoltés qui fomentent des plans sulfureux, que l’on suive monsieur Sariette dans sa folie, que l’on découvre comment Maurice, privé d’ange gardien, va évoluer, que l’on savoure les digressions philosophiques, tout, tout, tout est délectable, jusqu’au discours de Nectaire, l’ange jardinier. Il revisite l’histoire du monde et de la foi, en fait un récit palpitant, explique tous les événements de la foi chrétienne, sans nous ennuyer une seule seconde. Au contraire, c’est édifiant. « Il (Dieu) sentit lui-même qu’il n’était pas capable de gagner les cœurs des hommes libres et des esprits polis, et il usa de ruse. Pour séduire les âmes, il imagina une fable qui, sans être aussi ingénieuse que les mythes, dont nous avons orné l’esprit de nos disciples antiques, pouvait toucher les intelligences débiles, qui, partout, se trouvent en foule épaisse. Il proclama que les hommes, ayant tous commis un crime envers lui, un crime héréditaire, en portaient la peine dans leur vie présente et dans leur vie future (car les mortels s’imaginent follement que leur existence se prolonge dans les enfers) et l’astucieux Iahveh fit connaître qu’il avait envoyé son propre fils sur la terre pour racheter de son sang la dette des hommes. »
Anatole France n’est ni le premier ni le dernier à élaborer une critique du christianisme. Celle-ci est une de mes préférées car elle est exprimée avec piquant et humour. J’ai ri tout au long du livre, qui par moments me rappelait ceux de Boulgakov. Un simple exemple. Tous les numéros de chapitre se voient accolés d’un résumé de leur contenu : « Chapitre XXIII : Où l’on voit le caractère admirable de Bouchotte qui résiste à la violence et cède à l’amour. Et qu’on ne dise plus après cela que l’auteur est misogyne. »
Les éditions
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La révolte des anges de Anatole France
de France, Anatole
Calmann-Lévy
ISBN : 9782702103449 ; 7,29 € ; 01/04/1994 ; 268 p. ; Broché
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Critique de Lafcadio_ (, Inscrit le 13 septembre 2014, 35 ans) - 2 novembre 2014
En 1914, il signe « La révolte des anges », ultime production d’une carrière littéraire récompensée par le prix Nobel en 1921.
La bibliothèque de la famille d’Esparvieu est un monument ; trois cent soixante mille volumes s’y entassent, tous plus rares les uns que les autres, abordant les thèmes et les disciplines les plus complexes et ayant été possédés et annotés par certains des plus illustres hommes du passé. Monsieur Sariette est l’employé qui a la charge d’entretenir cette réserve de savoir. Constatant que les ouvrages les plus inestimables se déplacent semble-t-il par leurs propres moyens, allant même jusqu’à l’attaquer, il succombe peu à peu à l’angoisse et la folie. Nous apprendrons que ces étranges phénomènes sont le fait d’Arcade, l’ange gardien de Maurice, fils de la famille d’Esparvieu et archétype du dilettante bourgeois parisien du début du vingtième siècle. L’être surnaturel, en se plongeant dans l’étude, a conclu que Dieu est un imposteur, un tyran qu’il faut confondre ! Il a donc décidé de descendre sur Terre afin de fomenter un putsch contre le divin potentat en s’alliant aux anges déchus et à Satan.
Avec ce texte, Anatole France s’amuse et nous amuse. Il use d’un style détaché pour peindre des personnages se distinguant avant tout par leur ridicule. Tous caricaturés et bourrés de défauts, on s’attache pourtant à ces êtres animés par leurs désirs de justice ou leurs peurs existentielles. Beaucoup de passages hilarants mériteraient d’être cités mais leur efficacité tient à leur insertion dans le récit. Chaque début de chapitre est l’occasion de faire un résumé de ce qui va venir et est une sorte de clin d’œil de l’auteur au lecteur, renforçant l’effet comique.
Mais il ne faut pas oublier que sous cette apparence légère, Anatole France établit une réelle critique sociale aux accents anticléricaux. Tout le monde sera l’objet de l’irrévérence ; des simples bourgeois aux militaires tout comme les banquiers et les bohèmes. C’est aussi une ode aux mythes ; supplantant la religion dominante, ils retrouveront leurs lettres de noblesses. Le témoignage d’un vieil ange déchu nous apprenant pourquoi et comment le Diable s’est initialement dressé contre Dieu ainsi que ses éclaircissements sur l’Histoire sont admirables. Ce texte où évoluent des bibliophiles et des ouvrages rares est d’une grande érudition et nous renvoie maintes fois à nos dictionnaires.
L’air de rien, avec une décontraction et une facilité impressionnante, Anatole France nous apporte son regard amusé sur une société qu’il aime, même si il lui assène de durs reproches. Si l’inversion des rôles bibliques pourra en exaspérer certains, l’exhortation à se cultiver et les réflexions apportées font leurs chemins, prouvant s’il le faut, que cet auteur mérite d’être dépoussiéré et relu par le plus grand nombre.
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La révolte des Anges | 1 | Dirlandaise | 23 septembre 2007 @ 23:37 |