L'année du silence de Madison Smartt Bell

L'année du silence de Madison Smartt Bell
( The year of silence)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Fee carabine, le 1 décembre 2004 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 943  (depuis Novembre 2007)

Portrait d'une femme en perdition

L'écrivain américain Madison Smartt Bell compte à mes yeux parmi les grands absents de Critique Libre. Son roman "Le soulèvement des âmes" est une fresque magistrale de la révolte des esclaves qui a conduit à l'indépendance d'Haïti au début du XIXème siècle, une fresque qui soutient aisément la comparaison avec les grands romans de Russell Banks, que ce soient les "Continents à la dérive" ou le "Pourfendeur de nuages". Et si j'ajoute que les descriptions de New York par Madison Smartt Bell n'ont rien à envier à celles de Paul Auster, vous comprendrez que son absence me paraisse décidément inexplicable!

"L'année du silence" est son quatrième roman, publié aux Etats-Unis en 1987, donc avant "Le soulèvement des âmes" dont il n'atteint pas la puissance. Mais ce n'en est pas moins un excellent roman qui nous livre un portrait tout en nuances d'une ville tentaculaire et d'une femme en perdition. La ville, c'est New York au quotidien, avec ses malfrats, ses flics, ses mendiants, ses petite vieilles assises au soleil sur les bancs dans les parcs et qui regardent les enfants jouer au ballon, ses amoureux au coeur en berne, ses drogués, ses dealers, ses gens "normaux" qui se lèvent tous les matins, prennent le métro pour aller travailler, puis rentrent chez eux le soir, fixent la chaîne à la porte et poussent le verrou... Et la femme, c'est Marian, dont on comprend d'entrée de jeu qu'elle est morte dans des circonstances troubles, Marian que l'on rencontre pour la première fois à la fin du 2ème chapitre, lorsque son regard croise celui d'un inconnu, un soir dans un bar "Hard to believe, impossible to verify, but it was there, that flash of contact, like a match scraping into a blue flame that showed us briefly each to the other, two separate dreamers of the dream of love." Chaque chapitre nous livre le point de vue d'un protagoniste différent, dont la trajectoire a de près ou de loin recoupé celle de Marian: Weber, son ex-petit ami; Gwen, la souris Gwen, sa cousine, plus fragile en apparence mais qui pourtant se révèle la survivante, Tom Larkin, le colocataire de Weber; le mendiant qui prenait chaque jour sa station devant l'épicerie, en face des fenêtres de Marian; l'inconnu du bar... Chaque chapitre nous livre ainsi quelques notes proches ou lointaines de la vie de Marian et des remous provoqués par sa mort, dans un désordre apparent, dans un ordre qui prend tout son sens au moment de refermer ce livre et de voir enfin apparaître en filigrane un admirable portrait de cette femme dans toute sa complexité, sa richesse, ses forces, ses faiblesses, ses fêlures...

Et pour achever de vous convaincre de découvrir ce très beau roman d'un très grand auteur, un petit extrait, prélevé dans le premier chapitre intitulé "L'année du silence": Tom Larkin, le colocataire de l'ex-ami de Marian, est un pianiste qui a fait voeu de silence pour un an, mais peu après avoir fait ce voeu, il est engagé pour donner un récital au Lincoln Center, avec au programme les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, et pour préparer ce concert tout en respectant son voeu de silence, il répète chaque jour les Variations Goldberg sur un clavier muet.

"In his extreme weariness Larkin was caught up in the mood of the music, for all that no sound came. Its order was itself a kind of passion. He worked at the board with what he felt certain was a greater precision than ever before; his timing had never been better. Confidence gathered in him as he climbed through the variations. There was fervor and wonder in what he was doing, but he no longer felt peculiar about doing it, as he had for the past several months; in the end it was an ordinary thing.

At ease then, Larkin accomplished the lingering twenty-fifth, the climax of the minor variations. During the long rest at the end of it he heard what he'd been half consciously waiting for: a cascade of notes tumbling out in the air, real sound complete with its declining echo. He let the pause hang longer. It was an illusion, sure enough, compounded of his fatigue and the tingling in his fingertips, the latter a tactile reminiscence of the plucked clusters of a harpsichord. Unshaken, he commenced the first of the five final variations, sensing the music in all its particulars as it came carved out of its own deepest silence. Hovering in the mirrors, his face was solemn and unrevealing, though his entire self stretched out into a smile. With perfect contentment he realized that he would never play this piece so well again as now. This rendering was the best of which he was capable, after all, the performance of his life."

C'est sans doute une des plus belles pages jamais consacrées aux Variations Goldberg, et à leur extraordinaire pouvoir de fascination... Un livre et un auteur à découvrir!

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Les éditions

  • L'année du silence [Texte imprimé], roman Madison Smartt Bell trad. de l'américain par Pierre Girard
    de Bell, Madison Smartt Girard, Pierre (Traducteur)
    Actes Sud / Lettres anglo-américaines (Arles).
    ISBN : 9782742715398 ; 9,02 € ; 10/12/1998 ; 219 p. ; Broché
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