L'ours de Caroline Lamarche

L'ours de Caroline Lamarche

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 18 mars 2001 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (27 617ème position).
Visites : 4 908  (depuis Novembre 2007)

Comment devenir chaste?

La narratrice, mariée et mère de deux filles, fait la connaissance d’un prêtre et lui demande : - Comment devient-on chaste ? Chaste, " pour que les mots recouvrent tout le terrain du corps, pour qu’il n'y ait plus que le corps du texte ".
La figure anachronique du prêtre irradie le roman. Autour d’elle gravitent les personnages secondaires : Ivan, Gabrielle et Pierre, tous étudiants à l'université proche et logés au presbytère de Vurth, Paul, le mari un peu absent, et aussi Vivian Rys, la femme trop parfaite, Constantin, l’homosexuel cynique.
Il y a aussi Blas, le souvenir de Blas, le guide de haute montagne de l'enfance de la narratrice, celui qui, un jour, lui a désigné ce qu'on ne pouvait voir au risque de se perdre : un monstre de chair et de griffes, une déité nue.
Voilà ce que nous dit Caroline Lamarche par la voix de son être de fiction, que " l’écrivain partage avec le prêtre le privilège de paraître parfaitement désincarné ". Elle nous dit que " les mots, contrairement aux images, mettent au supplice " car ils colportent des corps envieux de violence et d’extrême douceur, désirables et désirant jusqu’à l’insoutenable.
L'écrivain est bel et bien ce corps fait Verbe et le livre, ce support sur lequel l ‘écrivain a fait Verbe son corps, le crucifiant sur la page pour la rémission des péchés de son frère lecteur, un peu à l'instar de cette machine infernale qui écrit avec son propre sang la sentence dans la chair du supplicié, dans ce récit : La Colonie pénitentiaire, de Kafka, créateur invoqué parmi d'autres : Miller, Plath, Raine, Woolf, Schiele, Apollinaire… dans ce roman haletant, qu’on lit le souffle court, de Caroline Lamarche.

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Chasteté vecteur d’inspiration ?

5 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 9 mai 2022

Déjà plusieurs critiques longues et argumentées sur ce court roman qui, à franchement parler, ne m’a pas convaincu. Typiquement, plus les romans sont courts, plus les critiques sont longues.

Mais c’est sans doute parce que ce roman est présenté comme une équation alors que je ne vois aucun lien entre la chasteté et la capacité à pouvoir trouver l’inspiration littéraire, et ce roman ne semble pas le démontrer. Victor Hugo ou Simenon qui n’avaient pas particulièrement une réputation d’ascète se sont montrés souvent fort inspirés.

Le mérite que je vois dans ce roman est de démonter le mythe que les hommes d’Eglise seraient d’office des asexués, et de se poser plus franchement la question de « alors comment font-ils ? ».

Pour ce qui est du style de Caroline Lamarche, ce n’est pas le plus fluide ou le plus agréable qu’on puisse trouver dans le répertoire des auteurs francophones. Comme déjà souligné, de ce point de vue, on évolue en dents de scie, avec quelques passages assez forts et d’autres qui tombent un peu comme un cheveu dans la soupe.

J’ai en plus toujours une petite aversion pour les romans sans coupure, sans chapitre et qui me donnent parfois l’impression de ne pas pouvoir reprendre mon souffle.

Inégalité au rendez-vous

3 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 19 janvier 2005

Le souffle court? Pas vraiment chez moi, la magie n'a pas opéré. Les interrogations de la narratrice me semblaient pourtant prometteuses: "Comment devenir chaste?". Le fait que sa quête existentielle passe par un prêtre m'a fait douter, juste un peu, air de déjà vu et piste si souvent empruntée par les auteurs, tellement facile le prêtre. Dépassant malgré tout cet à priori, je me suis plongée dans la lecture, j'ai essayé d'entrer dans les mots et dans l'âme de cette femme qui aime et souffre à la fois, qui utilise ses souvenirs pour exorciser un présent qu'elle ne peut vivre comme elle l'entend.
Mais voilà, j'ai trouvé tout cela très inégal. A côté de profondes réflexions sur la puissance du corps et l'attirance sexuelle se promènent des propos anodins et parfois ennuyeux, des réflexions égocentriques et une petite vie qui connaît quelques soubresauts. Caroline Larmache a eu l'intelligence de remplacer le sulfureux par l'érotisme suggéré, ça crée quelques belles impressions mais au final, je me sens désappointée, cette lecture me paraît vide de sens et n'éveille rien en moi. Je me sens complètement étrangère par rapport aux intentions de l'auteur et de son héroïne, j'assiste à un spectacle qui ne m'intéresse pas parce que par moments trop vaniteux et à d'autres trop creux.
Ce sont des choses qui arrivent les lectures décevantes...

Le souffle court.

9 étoiles

Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 18 décembre 2003

Oui, le souffle court, comme l’écrit Kinbote. Le souffle court devant cette fable érotique et chaste, cette « symphonie pastorale » de notre temps.
Religion de l’écriture : « Les livres. Il faut que j’écrive. Prenez, lisez, voici mon corps. »
Importance du rêve : « Celui qui rêve sécrète la vision du monde à venir, il appelle et on vient. »
Variations sur l’amour et l’amitié, sur l’amour et le désir, sur la chair et sur l’âme. Un homme et une femme peuvent-ils s’aimer d’amitié ? Une femme peut-elle être l’amie d’un prêtre ?
Le souffle court devant ces deux pages qui s’appellent et se répondent, une main de prêtre sur le sein d’une femme, une main de femme se caressant, « elle qui, seule, y va, puis meurt soudain en criant peu, elle qui s’enfonce, les yeux fermés, dans la paix infinie. » Petite mort, si proche parfois de la grande. Si proche du gouffre, Enfer ou Ciel. Tod und Mädchen.
Le souffle court devant cette écriture chaste et rayonnante comme le sujet qu’elle cerne au plus près : « écrire ne rayonne que si l’énergie déployée guérit le bouton de fièvre, le furoncle irradiant. » Le bouton de fièvre du désir ? Le furoncle de la passion ? Car elle est femme, la romancière. La chasteté ne lui est pas innée. Il faudra qu’elle la mérite. Qu’elle concentre son énergie en un faisceau très dense, très froid, très bleu, ce fil ténu, fragile et obstiné qui coule sur la page pour la sauver, pour, l’encerclant de soie, l’enclore dans un monde à l’abri des laves du monde.
Et le mari, dans tout ça ? Et l’ancien amant délaissé ? Ils ont leur place dans le plan qu’ourdit la narratrice qui sent que le prêtre lui sera éternellement refusé car il est chaste par essence, lui ; ce plan qu’elle confie au prêtre comme un secret qui les rapproche : l’amant deviendra son mari des vieux jours et elle découvrira les joies des amours clandestines avec le mari d’aujourd’hui. « Ainsi, Paul aura eu tout de moi, et moi tout de lui. Époux et amants l’un de l’autre, notre vie sera la plus riche dont un couple puisse rêver. » Quand l’imagination prend le pouvoir, quand le rêve prend possession de la vie. Quand la vraie vie est ailleurs, certes, mais qu’il est possible de l’inventer, au moins par les mots. Au moins entre les mots, entre les lignes.
Entre chasteté et péché, entre corps et mots, entre constance et tentation chemine ce roman qui parle d’un roman en train de s’écrire, ce roman tendu comme une corde de guitare qui vibre longtemps en nous, chercheurs toujours inassouvis du sens.

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