Enfin mort de Caroline Lamarche

Enfin mort de Caroline Lamarche

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par JPGP, le 23 août 2023 (Inscrit le 10 décembre 2022, 77 ans)
La note : 10 étoiles
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Les affrontements de Caroline Lamarche

La « mort » appelée ici est de l'ordre de la nostalgie, de l'ordre d'une remontée des sensations par les souvenirs et leurs remugles. Caroline Lamarche dans son écriture fragmentée d’une même histoire les rappelle et les provoque. Surgit d’une vision « binoculaire » non la possibilité de voir, mais l’impossibilité de ne pas voir. Ce qui est bien différent. Deux terreurs, deux affections sont liées à la "prise" de l’écriture d’un texte puissant. Il est vrai que l’auteure a déjà fait ses preuves avec - entre autres - le magnifique « La nuit l’après-midi » chez Minuit. Elle prouve que ressentir est une subjectivité, une « image » d’une absence inhérente à la présence comme d’une présence inhérente à l’absence. Le rapport entre les deux dialoguant du livre (la sœur et le frère) est celui d’une panique éprouvée par le trop brûlant comme par le trop froid. Celui qui se croit possédé possède l’autre et vice versa au sein d’une dépendance et d’un innommable que l’écriture parvient à souligner dans sa capacité à faire percevoir les émotions et les sensations en un sens du détail et de l’image.

Chacun des deux protagonistes est pris dans le regard de l’autre au sein d’une fausse altérité puisque le « même » reste toujours en jeu. Entre fuite et rapprochement, la sœur et le frère luttent pour une forme de mort, de disparition de ce qui fait mal et creuse. Parfois le regard n'est même plus celui de quelqu'un et le tutoiement semble sans tu à tutoyer. Ils arrachent à la possession de soi-même dans sa stupéfaction de devenir un miroir qui rappelle à chacun sa propre absence à l’autre. L'être comme représentation dans la psyché de l’autre ne signifie plus rien ou plutôt quelqu’un d’impalpable  ou de non préhensible. Rien ne prouve la sororité or pourtant elle est là jusqu’en un état dernier qui pourrait enfin amener une réponse au fameux "si je suis, qui je suis" de Malone Meurt de Beckett. Mais est-il déjà trop tard? Ou ce face-à-face est-il, aux yeux des protagonistes, presque insoutenable? Toujours est-il que tout se passe comme si les étranges visites et le dialogue de sourds étaient à la fois quelque chose à effacer de la mémoire et ce qui doit se perdre dans l'immémorial. Si bien que ce face-à-face différé rappelle que tout recommencement est un commencement, c'est-à-dire tout ce que le frère comme la sœur ne peuvent supporter étant l’un à l’autre semblables mais fantômes.

Jean-Paul Gavard-Perret

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