La soumission de Amin Zaoui

La soumission de Amin Zaoui

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 10 novembre 2004 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (42 199ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 5 142  (depuis Novembre 2007)

Kane ya ma kane...

"Kane ya ma kane"... Il était une fois.
Il était une fois une famille, quelque part en Algérie. Une famille marquée par la soumission. "Islam", en arabe.
Soumission au père, aux coutumes, au Coran. Soumission mais vie, vie brûlante et désirante, et frustration, vertige, délire et mort.
Le narrateur, Younes, est le seul garçon de la famille. Il est choyé, protégé, couvé car dans son sexe est "la semence de notre descendance". Mais il ne deviendra vraiment garçon qu'à neuf ans, sous les ciseaux du tailleur juif Haroun Sadek, son "autre père", dont - il l'apprendra plus tard - sa mère fut amoureuse au point de le rejoindre la nuit, au cimetière, et de chevaucher sa tombe. "Elles sont belles, les mères qui fautent." Beckett écrivait : "Elles accouchent à cheval sur une tombe"; Zaoui dépeint une femme faisant l'amour à une tombe. Qui est le plus noir?
Et Younes grandit entouré de femmes : mère, tante, et les cinq soeurs, les cinq démones, dont la plus belle, la plus jeune, Khokha, "la pêche", deviendra bientôt la seule. Car la fièvre chinoise emporte les autres. Et Younes sent naître en lui le désir, au contact du désir de son père qui fut amoureux fou de sa jeune belle-mère, Houria, ou Maria, ou Maya, qu'il cherchait à séduire avec les chants d'amour du grand soufi Ibn Arabi. Et le désir se tourne vers tout ce qui peut l'assouvir, comme dans le livre sacré que le père lit sans cesse à voix haute, et l'inceste n'est pas forcément un tabou.
Si bien que Khokha, la pêche qui mûrit, devient l'objet du désir de son frère et de son père, sous l'oeil jaloux et rageur de la mère qui se console avec sa tombe. Khokha qui n'est pas forcément la fille du père de Younes, Khokha qui n'est pas forcément la soeur de Younes. On a vu des hommes qui achetaient un bébé afin de se préparer une femme parfaite pour leur âge mûr. Dans les contes ou dans la réalité? Qui peut savoir, quand tout se mêle, quand "le néant, feu bleu crache une canicule terrifiante qui pèse sur les habitants de ce hameau reculé au bout du monde, suspendu sur la côte d'une grande montagne dénudée et sauvage dénommée M'naceb, un douar si loin de Dieu, si proche de la peur et de la souffrance." Et le père attend le moment où il mangera la pêche. Encore faut-il qu'elle soit mûre. Encore faut-il que Khokha soit nubile. Encore faut-il que le sang des règles coule. "Les années de mon père saignaient paisiblement. Son temps s'écoulait goutte à goutte." Son temps s'écoulait dans l'attente du sang de Khokha qui devenait "aussi belle qu'un papillon, belle aux frontières du grand péché".
Hommes et femmes. Si proches et si étrangers, se combattant par sourates ou dictons interposés, le père affirmant : «Le Prophète, Que la paix soit sur lui, avait dit : "Je ne laisserai après moi aucune cause de trouble plus funeste à l'homme que les femmes."», la mère répondant : "Lorsque le pénis d'un homme, même si c'est le Prophète, Que la paix soit sur son âme, est en érection, celui-ci perd le tiers de sa raison et le tiers de sa religion."
Un étouffant huis clos à quatre, et le destin qui attend son heure, comme dans une tragédie classique.
Amin Zaoui, qui vit aujourd'hui en France, a vu plusieurs de ses romans interdits ou brûlés. Celui-ci brûle, comme un fer rouge qui laisse en nous une marque durable, comme une étincelle qui nous incite à allumer d'autres feux pour échapper, peut-être, à la soumission.

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Le Yiddish de Haroun Sadek !

2 étoiles

Critique de Hantarfouf (, Inscrit le 4 juillet 2018, 54 ans) - 4 juillet 2018

J'ai remarqué que, dès le début du récit, il nous a été présenté un juif du nom de Haroun Sadek, donc très probablement un juif autochtone. Et comme il est généralement admis que les les juifs d’Algérie sont, pour la plupart issus d’Espagne, et sont donc des juifs séfarades.
Dès le début donc, Amin Zaoui nous dit que ce Haroun Sadek aimait répéter des poèmes qu'il avait appris en plusieurs langues dont le Yiddish. Or, le Yiddish, langue germanique parlée par les juifs d'Europe centrale et orientale ne pouvait etre la langue de Haroun Saddek. En Afrique du nord on parle un hebreux particulier qui, selon le pays était soit un judéo-algerien, judéo-tunisien ...

Bravo à Lucien...

9 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 79 ans) - 10 novembre 2004

Pour cette superbe critique ! Je ne vais pas tarder à lire ce livre tellement l'envie m'en est donnée.

En outre il s'agit d'une traduction et je sais que Lucien n'est pas un inconditionnel du genre, donc... Pour couronner le tout, il met 4,5, or il n'a pas non plus l'habitude de gaspiller les étoiles ! Tout cela fait que... Je risque donc bien peu à mettre 4,5 comme lui.

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  Traduction 2 Lucien 10 novembre 2004 @ 20:37

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