La véranda au frangipanier de Mia Couto

La véranda au frangipanier de Mia Couto
(A varanda do frangipani)

Catégorie(s) : Littérature => Africaine

Critiqué par Septularisen, le 4 mars 2023 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 6 étoiles
Visites : 1 415 

UN LIVRE COMPLÈTEMENT DÉJANTÉ!

Au début du récit nous faisons la connaissance du narrateur de cette histoire. Il s’agit d’Ermelindo Mucanga, qui est… Mort il y a vingt ans! Oui, mais voilà enterré sans funérailles, dans la mauvaise position, et sous le mauvais arbre, celui-ci n’a jamais trouvé la paix éternelle… Et pire que tout, il apprend maintenant qu’on envisage de l’exhumer pour faire de lui un héros national!.. Il se trouve en effet sous un frangipanier, qui occupe la véranda d'une ancienne forteresse coloniale, devenue depuis l'indépendance du pays un asile pour vieillards, et qui n’est accessible que par hélicoptère, les environs étant toujours truffés de mines anti-personnel datant de la guerre.

C’est alors que l'«Halakuvuma» (le pangolin qui veille sur lui, et qui selon les croyances du pays habite le ciel) lui propose de revenir parmi les vivants et d'«occuper» temporairement l’esprit de l'inspecteur Izidine Naïta. Celui-ci doit en effet être assassiné très prochainement et vient d’arriver dans la maison de retraite. Il doit mener une enquête pour découvrir qui a assassiné Vasto Excelêncio, un mulâtre qui était le directeur de l'asile de vieillards.

Le policier, maintenant possédé par l’esprit d’Ermelindo Mucanga, mène l’enquête. Malgré sa présence qui perturbe la tranquille vie des occupants de l’ancienne forteresse, il commence par interroger toutes les personnes vivant dans l’asile pour vieillards… Il y a là Navaïa Caetano l'enfant-vieux, Domingos «Xidimingo» Mourão le vieux Portugais seul blanc de l’asile, Nhonhoso le vieux noir qui se dispute toujours avec Domingos, Man Nenni la vielle femme qui prétend être une sorcière, Ernestina «Tina», la veuve de Vasto Excelêncio, Marta Gimo l'infirmière qui dort nue à même le sol, sous les étoiles...

Bizarrement, chacun d’entre eux déclare avoir commis le meurtre, chacun pour des raisons différentes...

Le mozambicain Mia COUTO (*1955) nous propose un livre empreint de «réalisme magique», qui joue sans cesse sur la corde raide, et flirte entre la réalité et le merveilleux. Cela baigne dans le lyrisme et la magie. C’est très bien écrit, mais on «sent» encore le grand écrivain en devenir, qui se cherche, et cherche encore son style d’écriture (ce n’est en fait que le deuxième roman de l’écrivain). C’est une écriture très étonnante d’ailleurs, toute en subtilités, avec beaucoup de néologismes inventés par l’auteur.

Ce n’est pas toujours facile à lire et Il faut parfois bien réfléchir pour se rappeler qui est qui dans le roman. Il y a aussi un aspect critique du Mozambique contemporain. Notamment la période post-coloniale, avec sa guerre civile, et ce qui va avec toutes les guerres… Corruption endémique, violence, meurtres, enlèvements, disparitions inexpliquées de personnes, presse muselée, disparition de journalistes, détournements de nourriture et de médicaments, trafic d’armes…

C’est un livre bizarre, dont la première chose à faire en le lisant, est justement d’oublier cette bizarrerie… C’est un livre qui nous parle de légendes africaines, un peu comme les livres du nigérian Wole SOYINKA (*1934) (1), sous des allures de roman policier – ce qu’il n’est absolument pas, d’ailleurs -, c’est teinté de philosophie, de sagesse des «anciens», de mémoire collective, de poésie, et bien sûr de réalisme magique. Ce n’est pas sans rappeler les livres du colombien Gabriel GARCIA MARQUEZ (1928 – 2014) (2), ou ceux de l’autre grande voix de la littérature portugaise en Afrique, l'angolais José Eduardo AGUALUSA (*1930) (3).

Un bon roman, pas un chef d’œuvre et certainement pas le livre par lequel il faut découvrir l’immense talent d'écrivain du mozambicain, mais certainement un très livre divertissant, complètement déjanté, ou l’on se surprend, - malgré le thème qui ne s’y prête absolument pas -, parfois à sourire, quand ce n’est pas carrément à rire!..

Rappelons que Mia COUTO a été lauréat du Prix Camoes en 2013 (le plus important prix littéraire du monde lusophone), et du Prix Neustadt en 2014 (le plus prestigieux prix littéraire, après le Nobel ), et que son nom est régulièrement proposé pour le Prix Nobel de Littérature.

(1). : Cf. Ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/11462/
(2). : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/567
(3). : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/8288/

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