Un ami trop grand: Lettre à Jean-Claude Pirotte de Claude Andrzejewski

Un ami trop grand: Lettre à Jean-Claude Pirotte de Claude Andrzejewski

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 23 janvier 2023 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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Tombeau pour Jean-Claude Pirotte

Comme toujours avec Claude Andrzejewski, nous sommes dans le pacte autobiographique, il s’agit sinon de tout dire, au moins de dire beaucoup, sans rien cacher des beautés de la vie ni de ses côtés pénibles, voire mauvais, ceux qu’on n’a pas envie de dire, et encore moins d’écrire. Et ceci, tout en faisant un objet littéraire saisissant et qui d’un bout à l’autre bénéficie d’une belle tension.

Ici, il s’agit d’une amitié extraordinaire entre le maître, le mentor, l’artiste établi, l’écrivain, poète et peintre belge Jean-Claude Pirotte (mort en 2014) et son cadet de presque trente ans, encore tâtonnant en littérature, mais qui écrit depuis son enfance, Claude Andrzejewski, le narrateur de ce récit qui est à la fois un hommage à l’ami décédé, et un hymne à l’amitié comme on en voit peu.

Ils se rencontrent vers 1995, se retrouvent souvent, et entre deux retrouvailles, une correspondance d’une exceptionnelle densité s’établit entre les deux hommes, l’écrivain confirmé et le quasi-débutant. Pour Claude, c’est le début d’une aventure unique, qui dura plus de deux décennies ; il dresse ici un Tombeau pour Jean-Claude Pirotte, qui sera l’histoire de leur amitié : "J’ai fait partie de ta vie, de l’une de tes vies. Tu étais, et seras à jamais dans la mienne". Notre jeune homme suit le grand ancien dans ses interminables beuveries, reçoit autant de leçons de biture que des avis éclairés sur l’écriture et la littérature. Et, attention, Pirotte ne boit que des grands vins, se faisant père spirituel en matière littéraire et père spiritueux en matière de beuverie !

Le mentor donne beaucoup de conseils au débutant : « Écrire, c’est se détacher. Tu ne te "détaches" pas. Il faut que tu regardes tout d’assez haut, ou d’assez loin. On dirait que tu n’as aucune vue d’ensemble [...]. Essaie-toi à l’allusion, plutôt qu’à l’assénement [...]. Je crois qu’il faut se forcer au naturel simple. À la narration sans effets [...]. Tes défauts sont ceux de l’enthousiasme, jamais maîtrisé. Tes dons, tu ne les muselles pas, et c’est ainsi que tu passes à côté de la grâce. Tu vas trop vite, et trop vite tu te contentes du mot, de la tournure, de l’"idée" », lui dit-il dans une de ses lettres. Et Claude obligé de constater que "Tu auras été mon père, et peut-être davantage encore ma mère, elle qui m’a encouragé sur la voie de l’écriture, comme tu n’as eu de cesse de le faire".

À lire ce nouveau livre, les encouragements de son mentor ont été salutaires. La prose est maîtrisée, on sent que les mots inutiles ont été sabrés, et cependant on ne sent pas l’effort. On éprouve les états d’âme émus du jeune novice devant son compère chevronné, à travers les voyages dans l’Hérault ou en Slovaquie, qui pourraient paraître anecdotiques sans une écriture aussi parfaitement contrôlée. Ainsi, cette fin de beuverie dans la chambre d’hôtel qu’il partagent. Claude, qui s’est réveillé contemple l’ami endormi : "tu dors. J’ai tout le loisir d’admirer ton visage dans le sommeil, effigie de pharaon, sphinx à la lueur orangée de la lampe de chevet. Tu ne respires presque pas, tu pourrais être mort, c’est tout comme d’ailleurs, j’ai peur, j’ai si peur que tu meures, si peur de te perdre, et cela m’étreint le cœur".

Et puis le temps a passé, Claude Andrzejewski, qui a publié ses premiers livres, décide de mettre de la distance avec son modèle, sans le renier le moins du monde, et de se couler dans un moule plus normatif, le mariage et la vie de couple : "J’ai préféré me retrancher dans la sécurité du cadre conventionnel en évitant néanmoins de me coller des tas d’emprunts bancaires sur le dos comme le commun du troupeau". Il a beaucoup retenu de son grand ami, la correspondance continue, tout en devenant moins fréquente. Et l’annonce de la mort de Pirotte sera pour Claude un choc émotionnel terrible. "Je marche et je pense que c'est la grosse affaire de la vie des gens, des gens comme moi en tout cas, cette quête de soi. Je marche et je pense à toi, Jean-Claude, je pense tellement à toi depuis que tu n'es plus de ce monde".

Claude Andrzejewski se met alors à écrire sur l’ami disparu, pour se remémorer la grande aventure de sa vie, pour ne pas se perdre lui-même. Le livre présenté ici est une réécriture plusieurs fois mise sur le chantier, et enfin aboutie, comme si le mentor était encore là, en conseillant de récrire et de corriger sans cesse. On voudrait connaître une telle amitié, et on souhaite à l’auteur de lui rester fidèle, et de continuer à se hisser dans le futur dans le sillage de son grand modèle, tout en gardant la personnalité qui lui est propre.

Un bien beau livre, et un bel objet comme tous ceux de l’éditeur lorrain. Pour les férus d'amitié, le cadeau idéal !

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