Bellmer et les poupées brisées

« Avec l’avènement en 1933-1934 du fascisme en Allemagne, cessation de tout travail utilitaire. Début de la construction de la poupée. » écrit Hans Bellmer en sa sa volonté d’œuvrer à une destitution des autorités paternelles et politiques : autrement dit à un démontage et à un remontage des corps, pour tendre vers ces choses qu’il dit souhaiter le plus –: « celles qu’on ignore »

Et c'est ainsi que la machinerie désirante de l’art joue chez lui une étrange partie de dupes. Le voyeur est rendu à ses vertiges et demeure face à de telles équivoques qui alimentent son fantasme imprégné de solitude. Il ne s’agit plus que de poupées-cornues, de portraits biscornus où l’homme renverse pour rien son orgueil, sa rage et son venin. Et lorsque le voyeur reprend vaguement conscience, lorsqu’à l’ébullition répond le vide d’une vague autosatisfaction qui ressemble à s’y méprendre à une automutilation, la poupée comme le portrait renvoient à un dérisoire spectacle équivoque.

Hans Bellmer aura eu le mérite de la rappeler - au moment où l’on croyait que l’image pouvait devenir mère et pute, chienne et vénérée qui répondrait toujours aux injonctions du voyeur – que l’art était toujours plus complexe dès qu’il s’autorise une puissance imageante originale. Ne s’y trousse plus alors du passé : un saut dans l’inconnu se produit. Soudain le dessin oblige à un regard autre, oblique. Le corps n’est qu’une idée, rien de plus. Ce que la poupée fait reluire ne possède rien de brillant. Le portrait non plus. Ne se crée qu’un retour à la solitude déposée de toujours dans le corps, le corps guetté, entrevu mais qui une fois de plus se dérobe.

Jean-Paul Gavard-Perret

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  Le corps et l'anagramme

  de Bellmer, Hans Noël, Bernard (Préfacier) Massonet, Stéphane (Autre)
  l'Atelier contemporain
  ISBN : 9782850351051 ; 25,00 € ; 03/02/2023 ; 224 p. ; Broché

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