J'ai tué de Blaise Cendrars, Fernand Léger (Dessin)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par JPGP, le 15 décembre 2022 (Inscrit le 10 décembre 2022, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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Blaise Cendrars et la conspiration

Selon la légende Freddy Sauser devint poète à New York dans la nuit du 6 avril 1912. Il écrit Les Pâques à New-York long poème fulgurant rédigé d’un seul trait où s’exprime la détresse morale du jeune auteur au sein de la cité où "l’aube a glissé froide comme un suaire / Et a mis tout à nu les gratte-ciels dans les airs". Néanmoins une autre source peut être évoquée sinon pour l'engagement dans la poésie du moins vers la détresse. Lorsque la guerre de 14 éclate, Cendrars s’engage comme volontaire : il est blessé et perd son bras droit. L’expérience du combat et de la mort va désormais réapparaître constamment dans son œuvre. D'où, et à l'origine, ce pamphlet - écrit de la main gauche. L'auteur évoque l’ignominie de la guerre. Et ce beau livre reproduit en fac simile l’édition originale imprimée en couleurs par François Bernouard en 1918.

L'auteur - si l'on peut dire - n'y va pas de main morte dans son "enthousiasme" pour braver son semblable - homme ou "singe" : "Œil pour œil, dent pour dent.(...)Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué le Boche." écrit le poète qui ajoute un peu plus loin : "J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre." L'horreur de la guerre est là. La virulence de Cendrars est là. Non seulement il refuse de jouer avec des "vieilleries" poétiques mais casse le prétendu humanisme qui cautionne les tueries officielles.

Les dimensions de la vie et de la mort surgissent dans un langage résolument libre à l’écart de toute forme d’embrigadement même celle du surréalisme qui lui tendait les bras. Cendrars avait d'autres chats à fouetter que la posture avant-gardiste et bien d’autres territoires à explorer. Il s'agit et par ce pamphlet non - du moins à cette époque - de s’embarquer vers l’ailleurs pour « tuer les morses » ou sous d’autres climats sans craindre les piqûres de la mouche tsé-tsé, mais de mettre à nu la boucherie organisée. Il montre comment l’économie et la politique prend force de saccage sur l'existence. Ce texte donne une des clés essentielles à une œuvre majeure et à une poétique très particulière.

Jean-Paul Gavard-Perret

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