Le bunker de Nicolas Brulebois

Le bunker de Nicolas Brulebois

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 24 juillet 2022 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
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Les amants terribles

Le chroniqueur subtil de la chanson française à texte (pour Froggy’s delight, L’Impératif…), le biographe d’Allain Leprest, l’auteur des aphorismes et brèves satiriques de Le monde aigri, le monde est bleu donne ici un témoignage troublant et fort. Il s’inscrit dans le cadre de la collection du Bunker initiée par Jacques Flament et à laquelle près d’une quinzaine d’auteurs se sont déjà pliés.
Un chroniqueur artistique invité dans un centre culturel ayant l’apparence d’un bunker à l’occasion du vernissage d’une expo d’art contemporain rassemblant 28 artistes contemporains (un par Etat membre) de la Communauté européenne est surpris, de même que 216 autres personnes, dans ce qu’on ne peut encore identifier comme une catastrophe naturelle ou un attentat.

Le narrateur attend une femme devant l’accompagner et qui parvient quand même à s’introduire à l’intérieur du centre d’exposition souterrain en partie enseveli. Cette femme est sa maîtresse depuis deux années et l’occasion qui leur est donnée de vivre plusieurs jours et nuits enfin en toute impunité est unique : ils vont exprimer là pleinement leur passion dans un « raisonné déraisonnement de tous les sens ».

"Eros et Thanatos à petit feu, prendre prétexte de cette mort annoncée, pour jouir d’une existence impensable jusqu’ici : flirter sous les décombres ou danser sur les bombes, ultime dandysme quand l’époque terre-à-terre vous ensevelit sous les gravats. Un horizon si bouché incitait à se libérer des carcans, quitter nos rôles habituels d’amant et de maîtresse : entre coupe de champagne et coup du sort – vivre une vraie vie de couple, enfin !"

D’abord leurs retrouvailles se font durant la visite de quelques œuvres exposées d’artistes bien réels tels que Tracey Emin (UK), Francisco de Pajara (Espagne), Zilvinas Kempinas (Lituanie), Adel Abdessemed (France) ou Henrik Plege Jokobsen (Danemark). On trouve même quelques clins d’oeil à des amis écrivains et musiciens. Ce qui donne lieu à une critique pertinente et nuancée de l’art contemporain en relation avec le climat sécuritaire ambiant que l’Occident traverse et qu’on pourrait résumer par cette interrogation du narrateur:

"Les chars de la vulgarité menaçaient-ils à ce point, pour faire de la représentation artistique un passe-temps sécuritaire ?"

Avant de constater que sous terre la lutte de classe se reproduit, décuplée par la situation panique, entre le camp des mécènes (« visiblement plus si généreux ») et les autres, les amants que la vie au grand jour a séparé, contraints qu’ils étaient avant à des étreintes furtives dans des salles de cinéma ou les transports en commun, vont à l’écart des autres, dans un nid douillet constitué par leurs soins, consommer ardemment, puissamment leur amour.

Jusqu’à une extrémité rarement relatée dans une fiction, à l’image des faits décrits mais aussi du tumulte propre à faire resurgir l’innommable et l’insensé de l’époque actuelle. L’ensemble est exprimé dans une belle langue, tour à tour aphoristique et souple, et qui résonne en nous au plus intime, nous faisant adhérer jusqu’au pire, aux motivations et folies d’amour d’un couple d’amants terribles. Gageons que cette première incursion remarquable de Nicolas Brulebois dans le domaine de la fiction sera suivie d’autres. En attendant un nouveau témoignage sur cette catastrophe allégorique et ineffable…

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