Fagin le juif de Will Eisner
( Fagin the Jew)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers
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Dickens antisémite?
Charles Dickens n’a pas été tendres avec Fagin. Un portrait à la limite de l’injuste et du caricatural auquel s’est attaqué Will Eisner qui n’a rien perdu de sa verve et de son humour féroce. Avec beaucoup de talent, il réhabilite le personnage de Fagin et démontre comment les idées antisémites véhiculées par Dickens ont contribué au maintien et au renforcement de certains stéréotypes juifs. Peut-être pas de manière volontaire (mais en est-on si sûr ?) mais en laissant planer de gros doutes, voire de franches allusions. De par sa diffusion internationale, Dickens ne pouvait que créer des rumeurs et les attiser.
Fagin est prêteur sur gage, il est juif, normal les premiers ne peuvent être que juifs, c’est bien connu pour Dickens qui brosse un portrait peu reluisant du personnage. Eisner se penche davantage sur ce fameux Fagin et lui crée un monde, lui donne plus de poids et explique comment et pourquoi ce petit vandale a dû mettre sur pied une école de loubards, forcé de survivre de la sorte dans un Londres très hostile à son égard.
Fagin se défend et nous raconte, il émet des reproches à l’égard de Dickens, il lui explique pourquoi il ment et il vole, il voudrait lui apprendre ce qu’est la vraie vie d’un miséreux. Et insiste sur l’erreur qui consiste à considérer quelqu’un uniquement en fonction de critères de race et de religion. Ce que Dickens ne s’est pas privé de faire, même si il a souvent juré ne pas être antisémite. Qu’il le soit ou non, il n’empêche que les descriptions physiques et morales de son personnages, systématiquement accolés au terme "juif" (sans parler des caricatures qui illustraient les éditions originales d’Oliver Twist !) ne peuvent que créer un malaise qu’Eisner ne tente pas de dissiper, mais de mettre en lumière et de détourner à sa façon, en donnant droit au chapitre à Fagin. Fagin n’est certes pas un saint, mais Dickens devait savoir, en l’accablant de cette manière sournoise, que cela aurait un impact sur la société.
Album original et caustique, une relecture non négligeable, voire indispensable d’Oliver Twist.
Les éditions
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Fagin le juif [Texte imprimé] par Will Eisner [trad. par Anne Capuron]
de Eisner, Will (Scénariste) Capuron, Anne (Traducteur)
Delcourt / Contre bande (Paris. 1996)
ISBN : 9782847894936 ; 14,50 € ; 25/08/2004 ; 122 p. ; Broché
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Une BD qui bat en brèche les préjugés antisémites
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 10 septembre 2014
On comprend l’agacement de Will Eisner en consultant ces illustrations du XVIIIème et XIXème siècles reproduites à la fin du livre, tout à fait conformes à l’odieuse propagande hitlérienne mais peu dérangeantes avant la Shoah. Bien que vivant sur le sol européen, les Juifs y sont systématiquement dépeints avec des traits sémites, le corps voûté et la mine patibulaire, ayant toujours l’air de manigancer une affaire juteuse, tandis que les « Européens » ont fière posture, sont dotés d’un visage rond et un nez fin. A cet égard, Eisner nous prodigue un petit cours judicieux sur l’histoire du judaïsme en Angleterre, rappelant que les premiers Juifs venus dans ce pays étaient séfarades et, ayant dû fuir l’Inquisition en Espagne et au Portugal, purent s’assimiler sans mal à la faveur d’un commerce florissant. A l’inverse, les Ashkénazes, chassés par les pogroms d’Allemagne et d’Europe de l’est, n’arrivèrent que beaucoup plus tard (au XVIIIème). Si leur physionomie pouvaient les faire passer inaperçus dans la population, ils étaient en revanche appauvris et analphabètes, ce qui les confinait dans des quartiers sordides où ils devaient voler pour survivre. Pour Dickens, Moses Fagin ne pouvait être qu’ashkénaze, donc loin du portrait qui en a été fait dans Oliver Twist, et c’est ainsi qu’il l’a représenté dans sa bande.
A partir de ce personnage, Will Eisner a ainsi recréé un récit à part entière, où l’on suit avec empathie le vieux bandit depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse (alors qu’il vient d’être condamné à la pendaison), en passant par son séjour au bagne. C’est mené tambour battant, avec ce sens du rythme et de l’ellipse propre à l’auteur qui sait comme personne conter des histoires avec cette charmante touche désuète. En noir et blanc comme d’habitude, le trait, précis et enlevé, est toujours agréable à détailler. Une œuvre salutaire à lire voire à enseigner dans les écoles !
Plaidoyer pour la tolérance
Critique de Le rat des champs (, Inscrit le 12 juillet 2005, 74 ans) - 11 novembre 2007
Will Eisner entreprend de raconter le vie de Fagin, depuis sa naissance jusqu'à son exécution, et le personnage acquiert de la profondeur. Pourquoi est-il devenu un filou? Pour survivre, tout simplement, dans la société antisémite, hypocrite et pudibonde de l'Angleterre du XIXe siècle. Charles Dickens était-il raciste ou plus simplement était-il un homme nourri des préjugés de son époque? Question difficile, qui fait penser à celle des thèses anti-africaines de "Tintin au Congo". Dans "Oliver Twist", le personnage est nommé fréquemment "Fagin le Juif" et il semblerait que Dickens ait voulu changer son texte après publication, mais qu'il n'ait pas réussi, et que le roman passé à la postérité était la première version. Fagin est certes un héros pitoyable, mais aussi une victime de la mentalité de son temps, ce qu'Eisner démontre avec son grand talent. Cette bédé de grande qualité fait partie de la veine éducatrice d'Eisner, de celle de l'homme qui lutte contre les préjugés et l'exclusion. Magnifique.
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