Toute cette beauté masquée de Yves Arauxo
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Toute cette beauté masquée
Aventures sensuelles dans la réalité immédiate
Voilà un écrivain dont on peut regretter qu'il publie peu ou prou. Alors, quand il nous sort quelque chose, autant en profiter au mieux. Cette fois, il s'agit d'un recueil d'aphorismes et de passages, dont le premier texte donne le ton :
«Dans des bas bleu marine sous un short marin, je m'accroche à la bouée que remorquent ses jambes. Le regard emporté à leur bord juvénile, je suis dans la ville un parcours incertain. À la fin, ce n'est pas un port mais une porte.»
Anciennement libraire à l'enseigne de La Proue, aujourdhui promeneur impénitent sur les chemins du monde proche et fouineur de première dans les labyrinthes livresques, Arauxo confie avoir pris trop de leçons de lucidité chez des auteurs comme Kafka ou Beckett pour tomber dans le piège qui se dresse devant chacun, en particulier vers le milieu du chemin de la vie, et qui consiste à croire en la réalité de ce qu'il est apparemment devenu :
« J'ai pris la tangente dans ses bras alors que nous avions emmêlé nos corps au point de ne plus savoir à qui était quoi. Brusquement, l'unité retrouvée a éclaté en une pluralité de mondes. Je me suis trouvé projeté dans un espace interstellaire, ou plutôt, j'étais la pure projection de cet espace. »
Sans jouer avec les allitérations et les ricochets de voyelles, Arauxo a toujours la formule ciselée nette et parfaite. Il surprend ces instants furtifs où la vie s'entrebâille, ces indiscrétions épinglées par quelqu'un - je est un autre? - qui se veut discret, en filigrane, n'étant que rarement dans le public mais plutôt dans la coulisse d'où il saisit la scène. Arauxo est un as de la concision et de l'incision.Cet écrivain qui ne s'épanche pas (du moins en paroles), a la vue traversière.
«À partir du moment où vous ressentez que toutes les formes de vie font partie de vous, vous ne pouvez pas vous empêcher de tomber amoureux de tout ce qui vous entoure.»
Terminons cette petite chronique par une note tout à fait délicieuse :
«Sa petite bouche maquillée avait la grâce ciselée d'un papillon. Comme j'attendais qu'il s'envole, c'est un bout de langue qui est sorti et lui a lissé les ailes.»
Loutre
Yves Arauxo, Toute cette beauté masquée, Cactus inébranlable éditions.
48 pages - 8 €
Les éditions
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Toute cette beauté masquée
de Arauxo, Yves
Cactus Inébranlable Éditions / micro-cactus
ISBN : 9782390490562 ; 20/01/2022 ; 48 p. ; 13x15
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Polissons mais policés
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 22 avril 2022
J’ai aimé l’allusion suggestive et la délicieuse délicatesse de la chute de ce joli portrait :
« J’apporte un grand soin au choix des fromages. Résolument, je préfère les pâtes dures : j’adore quand la fromagère doit peser de tout son poids sur son couteau à double manche pour découper une roue où la lame pénètre lentement. Et son petit soupir quand c’est fini… »
J’ai été amusé par le regard licencieux de ce client :
« Chaque manipulation de jambon faisait apparaître, par l’échancrure du col de son lainage, l’épaule dodue de ma bouchère ».
Ce fragment m’a particulièrement fait rire :
« Maniant l’humour comme un principe de précaution, ma dentiste (qui est plutôt ronde, courte sur patte et fort âgée) me demande si je n’ai pas croisé un pangolin sur le chemin de son cabinet. Je la regarde et reste courtoisement silencieux ».
J’ai trouvé celui-ci bien troussé :
« Toute cette beauté masquée… il y en a tant qu’elle ne peut que masquer autre chose ».
Et, celui-là particulièrement d’actualité :
« Les infos sont sexy en ces temps de pandémie : tous les soirs, la présentatrice du JT retire son masque en direct après avoir reçu un invité sur le plateau ».
J’abonde fermement à tout ce que celui-ci évoque :
« Une femme drôle n’a pas à ses soucier de son physique : elle manie une arme plus efficace que la beauté ».
Et, le petit dernier pose une question qui, sous sa légèreté, suggère beaucoup :
« Quand la morale puritaine aura triomphé, sera-t-il encore permis de regarder dans le décolleté du monde ? ».
Ceci n’est qu’un maigre échantillon, il y a encore, dans ce recueil, plus de quatre-vingt-dix autres fragments dont un certain nombre évoque la femme dans le milieu aquatique comme un fœtus dans son océan amniotique. Un fantasme bien connu des créateurs publicitaires. Je voulais aussi souligner la culture littéraire de l’auteur qui cite de nombreux auteurs plus ou moins reconnus, j’ai même vu un moineau de Lesbie traverser une page en me rappelant un texte étudié à l’université.
99 façons d'être ému par une femme
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 7 mars 2022
Yves Arauxo propose ici 99 façons d’être ému par une femme.
Le projet de ce recueil est né de l’usage du masque, prescrit durant la pandémie de Covid, en accentuant l’attrait des parties cachées ; les lèvres, surtout.
" Jamais on n’avait vu autant de beaux yeux depuis qu’on avait imposé le port du masque buccal. On en venait à rêver d’une rotation de sorte à s’émouvoir d’autant de jolies lèvres. "
[fragment 28]
Il traite de la sensualité involontaire, de celle qui nous saisit au quotidien, chez la boulangère, la bouchère, en compagnie d’une vendeuse, d’une caissière, d’une médecin, d’une présentatrice du jt, d’une parapharmacienne (ah ! les parapharmaciennes !)…
Des femmes qui non conscientes de leurs charmes, ne cherchant pas à les mettre en valeur, n’en sont que plus désirables.
" Modèle hybride, la parapharmacienne allie la compétence de l’infirmière à la frivolité de l’esthéticienne. "
[fragment 37]
Après lecture d’un des fragments (le 70), vous ne regarderez plus jamais le saut en longueur féminin de la même manière.
[fragment 28]
J’ai pensé en lisant ces blasons du XXIème siècle à la troublante Chambre aux miroirs de Paul Nougé, texte constitué de trente-sept fragments érotiques relevés par l’auteur au cours d’une visite médicale.
Yves Arauxo invite à une imagination érotique, puisant dans les rêves, le cosmos et aux racines de l’enfance, qui, si elle s’autorise des pointes plus triviales, au vif de l’Eros, le fait par le biais d’un propos entendu, ou d’une remarque spirituelle, dans tous les sens de l’épithète, comme ici :
" Quand je la prenais par derrière, son anus étonné me regardait. Ou était-ce moi qui, étonné, regardait son anus ? Je ne le sais plus, c’était au temps où je pensais au Christ sur la croix. "
[fragment 21]
La particularité de cette publication, pourtant brève (une trentaine de pages), tient aussi dans le fait qu’elle balaie subtilement un large spectre érotique en pointant des zones et des situations érotiques inédites.
Le recueil est tout aussi joliment informé, ponctué de citations culturelles subtiles et peu courantes. Cela va de Schiele à Antonioni en passant (et j’en passerai) par Chris Marker, Catulle, Vian, Novalis, Goethe, Sadhguru, Cortazar, Breton, Marien, Max-Pol Fouchet, Mariën…
Et puis le livre est sorti pile pour commémorer la disparition de Monica Vitti, appréciée par des cinéphiles avisés, dont Arauxo dit sobrement et pertinemment :
" Sans hésiter, je répondrais Monica Vitti dans L’Avventura. "
[fragment 94]
Certains fragments laissent deviner une allégeance au corps, à la nudité (invitant au silence) et à la puissance féminine, via aussi l’univers marin et maternel, qui exclut par là même toute velléité de supériorité du désir masculin.
" Elle, son long corps de dauphin aussi fluide que l’eau. Moi plus petit nageant à ses côtés comme au flanc d’une mère. "
[fragment 36]
Même si l’ultime fragment se termine sur une interrogation qui laisse planer une inquiétude, l’ensemble de ce beau recueil aura permis de repousser suavement ce funeste moment.
« Quand la morale puritaine aura triomphé, sera-t-il encore permis de regarder dans le grand décolleté du monde ? »
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