Folle de Nelly Arcan
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Malade d'amour
Quand on aborde les romans de Nelly Arcan, on réfère souvent à la vie privée de l’auteure. Cet angle appartient au marketing et au journalisme à potins. Quoi qu’il en soit, toute œuvre porte la marque de celui qui l’écrit. Écrire est une mise à nu, ne serait-ce que par la technique d’écriture.
Son deuxième roman inonde donc les tablettes des librairies québécoises. Nelly Arcan fait l’autopsie de l’amour d’une Montréalaise de vingt-neuf ans pour un journalisme français qui l’a abandonnée. Attirée par son accent en le rencontrant dans un bar du Plateau, quartier branché et incontournable dans la littérature québécoise, la narratrice veut vivre le paradis de l’amour avec ce mâle errant, le plus bel amour qui soit, un amour absolu, comme celui que l’on rencontre dans l’œuvre de Réjean Ducharme, mais différent de la désincarnation qu’il propose. Le corps est au service des besoins que le Créateur lui a créés. Pourquoi la beauté ne serait-elle pas alors un atout pour les satisfaire ? Mais que se cache-t-il derrière la belle femme ?
L’héroïne qui se sent une « moins que rien » espère grandir en développant une relation idéale avec un homme appartenant à une culture tellement supérieure à la sienne. Complexe des anciens colonisés. Malheureusement l’ardeur qu’elle apporte à bâtir son couple n’apportera pas de dividendes. Elle se butera à l’indifférence de l’être aimé, un phallocrate qui se branle devant son ordinateur en regardant des sites pornographiques. Pourtant un projet commun pouvait celer leur union. Chacun s’attaquait à la rédaction d’un roman que Nelly, prénom de la narratrice, espérait mener à terme en l’écrivant côte à côte avec son amant. Déçue de cet homme sans amarres, elle s’attache à lui malgré tout, comme ces femmes qui aiment trop de Robin Norwood. Le sens unique de l’amour fou qu’elle lui porte la démolit. La rage de l’abandon la pousse à lui écrire la lettre (ce nouveau roman de Nelly Arcan) pour retracer les tenants et les aboutissants de ce qui aurait pu être l’amour du siècle.
Le découragement d’une femme abandonnée est rendu avec une profondeur jamais atteinte au Québec. La narratrice se livre corps et âme pour montrer tout le mal que son échec lui a causé. Cette mise en abîme entraîne évidemment celle de son amant. Les hommes ne sortent pas gagnant de cette analyse, comme c’est souvent le cas chez les romancières. Esther Croft dans De belles paroles et Christiane Frenette dans La Nuit entière, tout comme Nelly Arcan, ont stigmatisé les hommes en signalant leur manque de courage, leur indifférence, leur égoïsme. Bref, ces auteures tracent du sexe fort un portrait peu flatteur à la suite de l’échec amoureux de leur héroïne.
Le roman se présente comme une lettre qui n’a rien de l’art épistolaire. C’est la dissection du cadavre d’un amour maladif, qui ne suit pas un ordre précis. L’auteure se promène au rythme des événements qui remontent à sa mémoire. Le manque de linéarité ne nuit aucunement à la force centripète de l’œuvre. Et même si d’entrée de jeu, on connaît le dénouement, le développement qui y a conduit est assez fort pour maintenir l’intérêt, surtout grâce aux rebondissements, prévisibles mais bien amenés, et à la franchise de la narratrice vis-à-vis ses pratiques sexuelles, narrées avec un réalisme auquel les âmes sensibles pourraient réagir.
Contrairement à son premier roman, Folle répond mieux aux normes de la narration. Les envolées lyriques ont disparu pour laisser place à une écriture qui suit à la trace l’évolution de son mal d’aimer, qui survient à l’aube de ses trente ans, âge qu’elle a choisi à quinze ans pour se suicider. C’est une œuvre forte dans laquelle Nelly Arcan fait montre d’une grande générosité.
Les éditions
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Folle [Texte imprimé], récit Nelly Arcan
de Arcan, Nelly
Seuil
ISBN : 9782020669498 ; 18,30 € ; 28/08/2004 ; 240 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (4)
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Post-mortem
Critique de Gabri (, Inscrite le 28 juillet 2006, 38 ans) - 11 janvier 2016
Avec son style unique, Nelly Arcan fait partie de ces auteurs. J'ai aimé son écriture franche et assumée au ton parfois enfantin, j'ai aimé sa façon de se vautrer dans l'émotion, sans pudeur aucune, sa façon de représenter ses angoisses, de les pousser aux extrêmes dans des mises en scène tordues. J'ai admiré son courage d'avoir apposé l'étiquette de "récit" à un rendu si polémique. Lire ce livre six ans après le décès de Nelly Arcan, c'est aussi relever immanquablement toutes les allusions au suicide et à la mort qui jalonnent le récit d'un bout à l'autre. C'est un livre rempli d'émotion, qui m'a longuement absorbée. Définitivement, Nelly Arcan avait une plume.
En contrepartie, ce qui m'a un peu lassée est le couvert pornographique qui surplombe l'ensemble du récit. L'ex-copain accro m'a dégoûtée. J'ai lu des passages avec un certain dédain, je dois bien l'avouer. Je dirais que j'ai été gagnée par le style, mais un parfois perdue en chemin par le thème. Une chose est sûre par contre, Nelly Arcan ne faisait pas dans l'indifférence.
Chronique d’une séparation annoncée
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 13 août 2005
Nelly Arcan a une plume intéressante qui, espérons un jour, sera utilisée à bon escient au lieu d’écrire de la pornographie ou pour pleurer la dure existence des gens branchés. Une phrase résume ce roman : « Un jour où tu étais sorti et où je pleurais sur ton lit, j’ai battu ta chatte Oréo qui te réclamait en miaulements traînants, je l’ai fait parce qu’il me semblait qu’elle devait se ranger à mes côtés. » Voilà, c’est édifiant.
Chapeau Libris Québécis pour cette mise en bouche !
Critique de Clarabel (, Inscrite le 25 février 2004, 48 ans) - 19 novembre 2004
Le désespoir du non-amour
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 10 novembre 2004
La narratrice est tombée folle amoureuse de cet homme qu’elle juge supérieur à elle et auquel elle veut tout offrir, donnant à son amour le statut d’amour idéal, celui avec un grand A comme il en existe peu. Oui mais voilà, l’homme en question est loin d’être l’homme idéal, il passe son temps à mater les sites pornos sur le net et à se livrer à la masturbation frénétique devant des égéries de papier glacé. Malgré l’indifférence qu’il lui témoigne, Nelly (la narratrice) continue d’aimer cet homme et projette de grandes choses avec lui. Ce sera l’échec, son amant la délaisse, elle se sent flouée et en colère, alors elle lui écrit cette lettre, pleine de colère, de désespoir mais surtout d’amour. Un amour qui rend folle. Ce n’est pourtant pas d’amour fou qu’il est question, car tout au long des pages, la narratrice raconte sa relation avec son amant, dans la froideur, avec distance et parfois mépris. Cet amour qui l’a rendue folle de bonheur a fini par la rendre folle d’amertume, on le sent, le texte est réfléchi et ordonné. Comme si finalement, c’était avant tout au lecteur que ce courrier s’adresse et pas vraiment à l’ancien amoureux, qui connaît déjà les griefs de sa compagne.
La relation est passée au crible, toutes les raisons du choc frontal avec le mur de l’incompréhension sont évoquées sans pudeur et sans indulgence. C’est que Nelly Arcan y met toute sa hargne et sa passion, comme si elle avait envie de vider son cœur d’une colère sourde et destructrice. L’auteur ne fait pas dans le détail, que ce soit pour hurler sa rancœur ou pour raconter les prouesses sexuelles dont sont capables les humains.
Beaucoup de force chez cette héroïne folle d’amour. Beaucoup de dureté également dans son propos sur le cybersexe et l’amour au masculin.
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