La tour des enfants perdus de Pierre Willi

La tour des enfants perdus de Pierre Willi

Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers

Critiqué par Mimi62, le 12 décembre 2021 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans)
La note : 9 étoiles
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Dramatique, glauque mais pas gorre. Une écriture très adaptée. Une réussite

Dans un quartier délaissé de Bordeaux, non situé dans le temps mais que nombre d'objets utilisés permettent de placer à notre époque, des enfants meurent, disparaissent ou se retrouvent estropiés. Ce monde côtoie l'opposé, le monde des affaires. Quels liens entre eux ? Pourquoi la police semble délaisser totalement cet autre monde ?

Quelques premières lignes m'ont agacé, en raison de leur déstructuration grammaticale très en vogue.
Les premières pages ont capté mon attention.
Les premiers chapitres m'ont entraîné dans l'histoire.
La suite m'a rendu dépendant jusqu'à tourner les pages avec une immersion croissante, une curiosité dévorante pour savoir quel serait le devenir de cette micro société, pour connaître le dénouement.

Les personnages, bien campés, différenciés, prennent aisément vie entre les lignes.
L'écriture nerveuse, parfois heurtée et heurtante, voire impétueuse, colle parfaitement à la nature du récit, à l'ambiance, aux personnages bien souvent aux aguets, sur le qui vive, ayant besoin de s'adapter rapidement à une situation. "Nicholae se fichait royalement de savoir où il allait dormir, question oiseuse quand le futur est un concept indéfinissable et se construire un présent une entreprise extrême".

Le sujet, glauque, plonge dans les misères les plus profondes, les abjections les plus sinistres et pourtant l'écriture n'est ni lourde, ni pesante, ni angoissante. Peut-être cela tient-il au fait qu'il n'y a aucune recherche de dramatiser une situation, qu'il s'agit là juste, malheureusement, d'un récit reflet.
De surcroît, de jolis passages mélangés à une forme d'humour amer mais non désespéré, ne sont pas rares, dans un style plutôt marqué où l'on devine des inspirations d'Audiard ou Dard.
"Les bulldozers n'ont pas épargné la zone pavillonnaire : des maisons éventrées tiennent encore debout par habitude, qui laissent entrevoir leur intimité toute pudeur perdue en papier peints à fleurs, placards béants, pot de chambre oublié sur un lambeau de plancher."
"Il ne considérait pas la grammaire comme un complot du gouvernement destiné à tuer le rap."

L'ensemble est très noir mais sans complaisance, on côtoie les bas fonds mais malgré tout règne une forme de solidarité, une idée de l'honneur, une volonté de dignité. A cela s'oppose une caste sociale brillante en apparence mais profondément noire une fois le vernis enlevé, sans oublier ceux navigant entre ces deux mondes, pour les faire communiquer, l'un au détriment de l'autre.

Pour moi, une superbe découverte d'auteur, quasi un coup de coeur. Un auteur dont je vais lire d'autres ouvrages.


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Les artistes amateurs se sont largement répandus sur la façade et dans le hall en larges traînées arc-en-ciel : fresques érotico suggestives, cris d'amours aérosols, exhortations à tuer du flic, calligraphies ésotériques intraduisibles.

Sur les lignes de béton brut, tags anti-flics et inscriptions à vocation obscène se poursuivent par ligne d'âge.

Aujourd'hui il n'est plus guère possible de molester le père de Jérémie, il se casserait de suite en morceaux. Il se tient face aux envahisseurs, tout sec et ratatiné.Si c'est le boulot qui l'a osé comme ça, son image n'encourage pas au travail.

Préserver la discipline et prêcher les valeurs de la République dans le périmètre grillagé de l'école Alfred de Musset est un voeu pieux qui n'émoustille que les inspecteurs de l'éducation nationale (imaginez un capitaine fou convaincu de gouverner un bateau à la dérive).

Entre deux gouttières s'étrangle un coin de ciel bleu ou blanc, quelque fois rose, quelquefois gris comme une aquarelle inversée où infuse la crasse de la rue.

Des pressés slaloment entre les badauds, qui en rollers, qui en trotinette électriques, qui à grandes enjambées d'hommes stressés, en lutte contre l'affichage impitoyable de leur montre.

Dans ce qui devait être un vestiaire, je retrouve les couvertures volées à la crèche de Bienvenu. Elles ressemblent à des carapaces de tortues insérées les unes dans les autres sous lesquelles roule une houle de sommeil.

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