Rodogune de Corneille
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« Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge »
Rodogune, fille du roi des Parthes, est promise à l’un des deux fils de Cléopâtre, reine de Syrie, en échange de la paix entre les deux royaumes. Cependant un désir de vengeance, qui prend sa source dans la guerre passée, pousse Cléopâtre à vouloir la mort de Rodogune. Et elle espère bien que ses deux fils, Antiochus et Séleucus, exécuteront cette basse œuvre, fut-ce au risque de déclencher à nouveau la guerre. Mais les fils de la reine aiment sincèrement la princesse Parthe...
L’argument de la pièce est un peu compliqué à résumer je dois dire, car il faut savoir qu’en fait Rodogune était fiancée à Nicanor, le mari de Cléopâtre (qui ici n’a rien à voir avec la Cléopâtre de Jules César), quand celui-ci était prisonnier des Parthes et que c’est déjà Cléopâtre qui, prise de jalousie, a assassiné son mari dès qu’elle en a eu l’occasion. Relire attentivement le début de la pièce pour démêler tous ces évènements n’est donc pas du luxe. Cela permet également de bien noter que les fils de la reine sont en fait jumeaux, ceci ayant une grande importance pour la dynamique de l’histoire. En effet, Cléopâtre a promis Rodogune à son fils aîné, mais lequel des deux est né en premier ? Elle ne va pas s’empresser de leur dire, afin d’avoir un ascendant sur eux...
Ce (petit) obstacle de géo-politique antique franchi, on découvre une œuvre magnifique. Les vers y sont très beaux, et relativement simples, ce qui rend la lecture très fluide. Pour une fois il n’y a pas trop de longues tirades : au contraire de courtes réparties, asses nombreuses, donnent de l’aération au texte. Au delà du dilemme classique (les fils de la reine, tiraillés entre obéissance à leur mère et l’amour qu’ils portent à Rodogune), la tragédie développe deux aspects qui m’ont beaucoup plu. Tout d’abord Antiochus et Séleucus : la présence de ce type de duo est assez original dans une tragédie pour être souligné. Frères jumeaux, ils aiment la même femme mais pour une fois ne vont pas s’entretuer pour elle. Cela s’explique par un profond amour fraternel, fort touchant par ailleurs, ce qui rend parfaitement vraisemblable cette position. Cléopâtre essaie d’ailleurs en vain de jouer sur une prétendue rivalité entre les deux frères.
A côté des deux frères et du personnage de Rodogune, noble et fière, il y a surtout l’extraordinaire Cléopâtre. A l’instar de l’Agrippine ou de l’Athalie de Racine, c’est un superbe portrait de femme, même dans sa cruauté et son goût du pouvoir. Obligée de gouverner à travers des hommes (ses maris ou ses fils), elle les manipule ou bien les assassine quand elle ne peut plus en faire des marionnettes. Sa duperie, sa ruse et son amoralité sont fort bien mises en valeur. A ce titre le monologue de la scène cinq du quatrième acte, où elle avoue à son confident que ses larmes sont des pleurs de rage et non d’émotion comme elle l’a fait croire à son fils, est un moment saisissant.
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