Dis, petite salope, raconte-moi tout….. de Olivier Bailly

Dis, petite salope, raconte-moi tout….. de Olivier Bailly

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 14 juin 2021 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 271ème position).
Visites : 1 954 

Enfer & paradis

Ce roman d’Olivier BAILLY est-il un drame de la jalousie quand elle devient obsessionnelle, rapport d’un dérèglement mental ou métaphore d’un monde où la femme érigée en statue de fiel, en mangeuse d’hommes, met le mâle à ses pieds, en position de n’être jamais rassasié par elle ? Même et forcément si le mâle est gros, affecté d’un féroce appétit de vivre et du souci d’en découdre avec l’existence, avec tout ce qu’elle offre – notamment en termes de rêves via la publicité et ses modes de consommation. Inévitablement on pense au Swann de Proust, à "L’Enfer" de Chabrol d’après un scénario de Henri-Georges Clouzot. Mais sur fond d’un monde déboussolé, abreuvé d’idées toutes faites.

Ce gros-là, jamais nommé, ne fait pas régime, il ingère tout, plus dans la vitesse que dans la profusion. S’il s’est piqué dès l’adolescence d’une femme enfant (le prénom à lui seul, Vanessa, est tout un programme lolitesque, avec références à Gainsbourg – dans le titre et l’épigraphe – et Paradis), elle va ensuite mordre à l’hameçon, au-delà de ses espérances, donner tout d’elle, jusqu’à un enfant. Mais ce ne sera pas assez, il ne voudra jamais le croire, croire en son étoile, car il est programmé pour le malheur (le bonheur est trop commun, trop partagé), d’où sa dépendance à elle comme objet transitionnel (le livre montre que la relation à ses parents n’a pas été satisfaisante), voué à disparaître.

Et cette addiction est au-delà du sexuel et du textuel, et bien loin de l’amour, du moins tel qu’on nous le rabâche, idéal et altruiste, tourné vers l’autre, le bien-être d'autrui…

Sur le chemin impossible entre lui et Vanessa, il y aura une fillette qui ne pourra jamais combler l’espace pris par sa mère dans le mental de son père et qui devra dégager. Pour qu’il aille au bout de son délire, de sa propre histoire. D’où l’idée qui ressort du récit qu’on se choisirait très tôt un scénario de vie à tourner, à dérouler et que le fou serait le réalisateur tyrannique qu’aucun aléa de tournage ne ferait dévier de son projet.

Ce qu’il sait faire de mieux, notre homme c’est vendre, des histoires pour « refiler une quelconque camelote », que ce soit par téléphone ou de vive voix, se servant de tous les éléments susceptibles de favoriser l’opération, et sans état d’âme.

"Dis, petite salope…", c’est une image fixe de femme prise à l’adolescence, innocente et salope en puissance, qui phagocyte toutes les histoires, les fait proliférer tel un cancer dans un organisme qui n’a plus d’autre raison d’être. Vanessa, elle, est privée de parole, tout ce qu’elle dit est tourné en mensonge, nié dans sa vérité par le film que se fait son mari.

C’est aussi, on l’aura compris, une métaphore du romancier. Qui, sur l’objet sacré de la littérature, produit des histoires sans fin. Qui ne valent que pour son amour des mots et qui ne demandent qu’à être jugées sur leur style, sur leur façon de raconter. Si le lecteur adhère, c’est vendu-gagné.

Tout alimente la parano du gars, et cela donne lieu à des scènes tragi-comiques autant qu’épouvantables, auquel s’adresse un narrateur froid, distancié qui débiterait un acte d’accusation.

Le lecteur, pris à partie au même titre, est happé dans la chute de l’Asocial. Les faits sont relatés sans répit, tout nous est donné à lire : les produits et les marques, les opinions comme les actions des personnages, tout va vite chez cet homme pressé d’en finir.

Quand tout a été dit-perdu, quand on est à la rue avec l’inconscient, sans toit, sans toi, sans tu à qui s’adresser, on peut à nouveau parier sur un chiffre, une idée fixe. Tant qu’il y a de la vie, du verbe, de la folie…

« Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira

Toutes les bonnes sœurs et tous les voleurs

Toutes les brebis et tous les bandits

On ira tous au paradis, même moi »

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"Aimer à perdre la raison..."

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 29 septembre 2021

L’auteur s’adresse au héros du roman, le plus gros de la classe qui est amoureux de Vanessa, la plus belle, qui, évidemment, l’ignore totalement. Pour perdre enfin sa virginité, Il se laisse séduire par la plus moche qu’il rejette quand, à la faculté, il finit par obtenir un baiser de Vanessa qui le snobait au lycée, elle s’est, comme lui, inscrite à la faculté de médecine où il la protège du bizutage infligé par les deuxièmes années. Il devient son héros et elle finit par l’épouser et par lui donner une adorable petite fille qu’il vénère comme une déesse.

Il est heureux en famille mais les amis et collègues de sa femme le stigmatisent et l’évitent, il n’est qu’un vulgaire commercial qui fourgue n’importe quelle marchandise aux ménagères de moins de cinquante ans en faisant du porte à porte. C’est un excellent commercial, il gagne beaucoup d’argent, grimpe dans la hiérarchie de sa profession et développe son entreprise. Mais, il reste le fils d’un cheminot décédé trop tôt, il est convaincu qu’il n’est pas digne de sa femme, qu’il n’est pas assez bien pour elle et qu’un jour un autre, rentrant mieux dans les codes définissant la société des amis et collègues de sa femme, la séduira et l’emmènera avec lui. Il devient soupçonneux, jaloux jusqu’à l’intolérable. Il surveille sa femme comme un maton veille sur les détenus, il perd peu à peu pied, se réfugie dans l’alcool qu’il consomme de plus en plus excessivement. Il s’enfonce dans une paranoïa destructrice dans laquelle il entraîne tous ceux qui pourraient l’aider.

C’est un très beau roman que propose Olivier Bailly, un véritable plaidoyer contre l’envie, le désir de posséder et d’être aimé par une personne qui peut prétendre à des amours plus gratifiantes. Un plaidoyer contre le manque de résilience et d’acceptation de sa personnalité qui conduit à une jalousie destructrice. Un plaidoyer aussi contre la société qui fixe les critères définissant ceux qui sont beaux, ceux qui ont du charme, ceux qui sont intelligents, ceux qui ne sont dignes d’aucun intérêt, ceux qui doivent se réfugier dans la marge où ils pourront grignoter les rebus de la classe des élus.

Après avoir lu ce beau texte finement écrit, nourrit de traits d’esprits fulgurants et d’images fort expressives, j’ai pensé à cette citation de Coluche : « Il y en aura qui seront noir, petits et moches. Et pour eux, ce sera très dur » que l’on pourrait parodier en écrivant : « Il y en aura qui seront frustrés, gros, et moches. Et pour eux ce sera très dur ». Le monde est très injuste et chacun n’a pas les qualités ni les possibilités de l’accepter sans se rebeller, préférant se réfugier dans la convoitise, la jalousie, l’alcool et d’autres substances euphorisantes ou anesthésiantes. Certains méritent peut-être plus d’attention que d’autres ?

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