Les couleurs de la peur de Isabelle Fable

Les couleurs de la peur de Isabelle Fable

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 29 mai 2021 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 440ème position).
Visites : 1 884 

Des nouvelles contrastées

Dans ce nouvel ouvrage, Isabelle Fable nous embarque dans des nouvelles contrastées qui tirent vers le conte, cruel ou bien drôle, en tout cas jamais mièvre, toujours piquant.

Au fil des dix histoires, on trouve des Barbe bleue, des belles captives, une sorcière ou l’autre, un papillon sans ailes, un chien empaillé et des chats. Mais aussi des traquenards et des malentendus sur des noms, des variations sur le thème du double, une structure de conte classique souvent dévoyée, ce qui donne tout son sel au recueil.

Plus d’un personnage féminin se joue du rôle qu’on lui attribue pour prendre sa revanche, d’une manière vive ou plaisante.

Ainsi, dans "Figlia della luna", Paola, une plasticienne en vacances, est emprisonnée, accusée de sorcellerie, ce dont elle se défend. Elle réussira à s’évader et rendre à son ravisseur la monnaie de sa pièce en le prenant au mot.

Dans une des plus savoureuses nouvelles, "Drame au château des Dames", un comte organise un jeu galant où des dames affublées d’un bandeau sur les yeux doivent trouver la sortie la première pour devenir son épouse. Mais le vicomte chargé d’organiser le concours y introduit une souillon affectée d’un handicap…

Dans "Plume", un jeune homme du nom de Plume est, dans le cadre de la foire du midi, confronté à une multiplication de doubles de sa fiancée…

Enfin dans, "Rouge amour", la terrible nouvelle qui clôt le recueil, on ne rit plus, on sort de la pure fiction ; Isabelle Fable raconte une excision doublée d’une infibulation…

Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le thème de la peur est décliné différemment dans chaque nouvelle ; cela va de la peur bleue ou verte à la peur blanche en passant par tout le spectre des frayeurs ou appréhensions. Peurs se fondant sur un leurre, peurs paniques ou peurs primitives, on sait que ce sentiment fait partie prenante du monde du conte et Isabelle Fable en fait dans ses récits le meilleur usage possible.

On en redemande.

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Fantasmagorie

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 20 juillet 2021

Dans ce recueil Isabelle Fable propose dix nouvelles où le monde actuel se mêlerait, dans certaines circonstances, à des univers moins cartésiens, des univers qui échappent à notre raison, des univers plus ou moins fantastiques, fantasmagoriques comme la nouvelle dans laquelle l’héroïne séduite par un beau jeune homme se retrouve captive dans un château médiéval où elle subit quelques tourments avant de réussir à s’évader et à se venger. Elle passe du monde puérile d’aujourd’hui à un monde gothique, violent, terrifiant, angoissant avant de revenir dans notre monde plus calme et plus serein mais peut-être avec un souvenir de cet épisode terrorisant. On pourrait aussi évoquer la jeune fille inquiétée par un promeneur indélicat qu’elle réussit à enfermer dans un placard qu’elle ferme hermétiquement comme Jeanne Moreau dans « La mariée était en noir ». le passage d’un monde d’adolescente révoltée contre sa mère à celui de victime potentielle d’un pseudo psychopathe.

Plusieurs nouvelles sont construites sur ce principe : une scène banale de la vie courante est brusquement perturbée par un événement irrationnel, étrange, …, qui conduit le héros aux frontières de la mort sans jamais, ou presque, la franchir, avant de le ramener sous des cieux plus cléments. Ainsi, le jeune homme qui prépare son mariage avec la fille du gardien du château, est brusquement assailli par un monstre au deux visages : un géant débile et un chien empaillé. Il est quasiment étouffé quand la fille le sauve et le ramène vers des temps plus propices pour lui et celle qu’il doit épouser. Ce thème de la mort tutoyée me rappelle un précédent roman d’Isabelle dans lequel elle évoque toutes les personnes de son proche entourage qui sont décédées brutalement. J’ai eu l’impression de voir dans ces nouvelles comme un refus de la fatalité de la mort qu’elle dénonçait dans ce précédent roman. Je me souviens de ces deux vers :

« Ecrire pour évacuer la douleur
. Ecrire pour conjurer la mort. »

La violence et l’irrationnalité de certaines scènes peuvent émouvoir ceux qui ne sont pas, comme moi, des lecteurs réguliers de la littérature fantastique. Mais, l’écriture d’Isabelle les rassurera vite, elle est élégante, fluide, riche de mots rares et ornée de formules de style toujours judicieusement placées. L’auteure n’étale jamais l’horreur pour l’horreur, ne cherche pas comme certains à écœurer le lecteur mais seulement à donner toute sa dimension fantastique aux scènes qui font vivre ses nouvelles. Moi, j’ai bien aimé l’angoisse qu’elle crée en utilisant les jeux de double, voire de triple. Un homme d‘âge mûr est pris d’une réelle panique quand il croise dans le métro un homme qui pourrait lui quand il avait une vingtaine d’années de moins. Un jeune homme accompagne la fille qu’il aime bien, à la fête où il est vite perturbé par deux autres filles qui pourraient être chacune un double de son amie mais chacune avec un handicap.

Le recueil s’achève sur un texte moins étrange mais plus bouleversant encore, il raconte comment une jeune file retourne sur sa terre natale en Afrique où sa grand-mère l’a purifiée à jamais, elle l’a excisée et infibulée. Et si l’horreur au quotidien était plus violente que l’horreur distillée dans la fiction littéraire.

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