La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint

La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 19 avril 2021 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 7 étoiles
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Présent indéfini

« Je passe ma convalescence à Ostende. Une aide-soignante, qui ne parle pas français (peut-être ne parle-t-elle que néerlandais), vient tous les jours, qui me couche le soir et m’assiste pour mon lever. J’ai le sentiment qu’il n’y a pas de discontinuité dans ma vie, que cela fait des mois maintenant que je suis immobilisé ici dans un fauteuil roulant et que les journées se succèdent, identiques, devant la fenêtre de cet appartement. Combien de temps va durer ma convalescence, je l’ignore. »

Le narrateur de ce court récit qui se présente comme un double de Jean-Philippe Toussaint est immobilisé dans sa chambre qui donne sur le casino d’Ostende. Il n’a plus accès à ses souvenirs, il est non seulement isolé dans l’espace mais aussi dans le temps, voué à un présent étiré à l’infini…

« Pourtant, ma conscience du présent n’est pas altérée, elle est même particulièrement aiguë, comme si la mise à l’arrêt forcée de l’ensemble de mes autres facultés me faisait soudain percevoir, avec une attention décuplée, affûtée, acérée, l’instant visible.«

C’est un épais brouillard qui lui brouille d’abord la vue, à l’image de celui qui encombre son esprit.

« Je regarde l’épais brouillard à travers la vitre, et il me semble que le monde extérieur a la même consistance que ma mémoire. »

Dans ce passé indistinct, une image lui revient comme un phare. Il se revoit de plus en plus en distinctement en train d’attendre quelqu’un à l’Hôtel Métropole à Bruxelles…

Un mur infranchissable l’isole de son passé, donc de son histoire, mais surtout de son futur, à tout jamais barré. Un autre mur justifiera le titre de l’ouvrage.

Il y a chez Toussaint, depuis La Salle de Bain en 1985, cette propension à isoler les narrateurs de ses romans et récits dans des lieux clos qui contiennent « toute l’étendue de l’immobilité ».

En 1990, j’écrivais : « Le narrateur de Toussaint est mis dans une position qu’il n’a pas voulue, dont les coordonnées spatiales lui échappent momentanément et avec lesquelles il va bientôt jouer. »

Ces lieux fermés sont des matérialisations de son monde intérieur où le narrateur peut laisser libre cours à son imaginaire, généralement plus riche que son quotidien. Dans l’univers romanesque de Toussaint, il y a aussi une impossibilité de se fuir comme de témoigner du présent, du passage du temps, autrement que par l’écriture, toutes contraintes qui conduisent ses personnages à ruser pour rester dans le game, dans le je, en prise directe avec le paysage qui demeure l’ultime preuve qu’on est ici et maintenant, présent à soi-même et au monde.

Ce texte qui se veut un hommage aux victimes des attentats du 22 Mars 2016 à Bruxelles sera normalement joué du 17 au 27 novembre 2021 par Denis Podalydès au Théâtre des Bouffes du Nord dans une mise en scène d’Aurélien Bory.

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