Nous et les oiseaux de Carino Bucciarelli

Nous et les oiseaux de Carino Bucciarelli

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 27 mars 2021 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 201ème position).
Visites : 2 128 

Drôles d'oiseaux !

Par une nuit d’un hiver rude comme on n’en connaît plus guère dans nos régions, après que son véhicule a été immobilisé le long d’une autoroute, Stéphane Delatour laisse son épouse, prénommée Olga, et ses deux jeunes enfants dans l’habitacle pour partir en quête d’une borne téléphonique. En route, il aperçoit sur un bas-côté un anorak rouge qui recouvre vraisemblablement un cadavre. Après avoir appelé les services d’un dépanneur, il ne retrouve plus son véhicule ni ses passagers.

Après quelques minutes de marche dans la neige, il remarque une corneille qui l’observe et, lorsqu’il va ensuite déclarer à la police la disparition de ses proches, il observe la tête noire d’une corneille dans le cadre posé sur le bureau de l’inspecteur…

À partir de cette situation de départ, l’action se déploie comme en faisant des boucles ; les éléments de départ vont être redistribués d’une façon subtile. Les protagonistes de départ se découvrent des espèces de doubles ; les Delatour, les Olga se multiplient… Les identités sont pour le moins troublées, remises en cause ; les noms recouvrent plusieurs personnages qui semblent les marionnettes d’un démiurge, pris dans un rêve raisonné et fantomatique.

Très vite, les oiseaux (corneilles, mésanges, moineaux, chouettes hulottes), plus ou moins protecteurs, plus ou moins menaçants, apparaissent et agissent comme des reflets ou des référents des actions humaines. On peut même dire que les volatiles acquièrent au fil des pages plus de réalité que les personnages, déboussolés, qui, néanmoins, semblent manifester une espèce de déni par rapport à ce qui leur arrive, par mesure de protection mentale : pour ne pas sombrer définitivement.

À la lecture, on est plus d'une fois décontenancé, pris de vertige. Malgré les chausse-trapes, les diversions, les tentatives de faire perdre pied au lecteur, l’auteur maîtrise son sujet tout du long du roman. Et c’est un bonheur de lecteur, d’être ainsi malmené, conduit à se poser des questions essentielles et existentielles sur notre rapport à autrui, à notre devenir mortel de même qu’à ces drôles d’animaux que sont les oiseaux, sur le sentiment d’étrangeté et ce qui le provoque.

On peut penser qu’en autres choses Carino Bucciarelli adresse un clin d’oeil à Olga… Tokarczuk, la Nobel de littérature de 2008, l’auteure, notamment, de "Sur les ossements des morts", dont il cite en exergue une phrase. L’autre citation est un aphorisme de Jodorowsky : « Huit pattes sans araignée tissent une toile invisible. »

En 2000, après la lecture, notamment de Samuel est mort (L’Âge d’homme) de l’auteur, j’avais écrit : « Bucciarelli montre l’interchangeable de nos vies ; il montre les limites de notre identité, sur quoi elle bute, ce qui la fonde : presque rien. (…) »

Lecteur trop habitué à te laisser porter par les récits cousus de fil blanc, laisse-toi prendre au jeu de ce récit ; tente d’en dénouer les fils et mobilise à cette fin, comme rarement, toutes tes ressources mentales !

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Sous l'oeil des oiseaux

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 28 mars 2021

Je me souviens d’avoir lu un précédent livre de Carino et d’avoir déjà rencontré cette façon qu’il a d’inventer des histoires insolites, fantastiques, impossibles, irréelles qui déstabilisent le lecteur, l’embarquent dans une dimension qu’il ne peut pas appréhender avec sa logique cartésienne. Après cette lecture, j’avais écrit : « Avec ce texte, Carino Bucciarelli bouscule toutes les règles de l’écriture conventionnelle, son narrateur descend dans le roman pour rencontrer les personnages qu’il met en scène ou peut-être que ce sont les personnages qui s’incarnent pour rencontrer celui qui leur a donné une existence plus ou moins réelle, plus ou moins imaginée ». Dans ce nouveau roman, Carino égare sans cesse le lecteur en l’entraînant là où il y a toujours un Delatour, Stéphane ou Pierre, une Delatour qui se prénomme toujours Olga, ou des enfants Delatour, Gabriel et Irina. Mais chaque épisode de l’histoire est raconté par un narrateur différent qui rapporte une version différente des faits connus du lecteur ou une version non compatible avec ce que le lecteur sait déjà. Chaque personnage est multiple, chaque événement a plusieurs dimensions, plusieurs versions, plusieurs vérités …

Par une soirée d’hiver glaciale sur une autoroute difficilement praticable Stéphane, ou Pierre, Delatour roule prudemment avec à bord de sa voiture sa femme Olga et ses enfants Irina et Gabriel quand il percute une pierre qui détruit sa roue avant droite. Tous les deux, ils ont oublié leur portable, le mari décide donc de rejoindre à pieds la prochaine borne téléphonique sous le regard insistant d’une corneille qui le suit pendant un certain temps. Avant de rejoindre, la borne, il remarque, sur le bord de la route, un anorak rouge qui recouvre peut-être un corps. Il appelle une dépanneuse qui ne trouve pas sa voiture ni sa famille. Le chauffeur l’accompagne au commissariat où les policiers lui disent qu’il n’est qu’un affabulateur, il n’a ni voiture, ni famille… Alors commence la valse des Delatour sous le regard toujours aussi curieux de la corneille… Et l’anorak rouge revient lui aussi régulièrement dans le récit…, tout comme la conductrice de la petite voiture qui a tout vu… L’intrigue se complique, l’anorak rouge, fil rouge de cette histoire, pourrait indiquer qu’il y a eu un meurtre mais l’imbroglio est tel que le lecteur devra rester très attentif.

L’éditeur, sur la quatrième de couverture, indique qu’il s’agit d’un roman appartenant au genre du « réalisme fantastique », même si je ne fréquente pas assidûment ce genre littéraire, je partagerais volontiers cette opinion mais je voudrais ajouter que, pour ma part, il m’a fait penser à l’école des « illusionnistes », ceux qui, comme Georges Rodenbach, Villiers de L’Isle-Adam ou encore Robert-Louis Stevenson, dans « Le Dynamiteur » notamment, inventent une autre réalité pour donner corps à leurs histoires. Et, montrer ainsi qu’il n’y a pas une vérité unique, que la vérité peut-être perçue différemment selon la vision, l’intention, la faculté de restituer du lecteur. La vérité peut ainsi être quelque chose qu’on manipule, pas forcément toujours à des fins les plus louables.

Une histoire qui interroge sur un sujet qui lui aussi interroge beaucoup ! Un exercice littéraire sur le classique thème du double mais aussi un véritable essai sur le thème de la vérité.

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