Douze palais de mémoire de Anna Moï

Douze palais de mémoire de Anna Moï

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 12 mars 2021 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 73 ans)
La note : 8 étoiles
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UNE MEMOIRE SELECTIVE

La mémoire, nous dit-on fréquemment, est essentielle : pour la transmission, la cohésion d’une communauté, le maintien de valeurs morales indispensables au bon fonctionnement d’une société équilibrée. Dans les pays de tradition bouddhiste, où le culte des ancêtres joue un rôle dans la mémoire de chacun, les mécanismes de la mémoire peuvent faire appel à d’étranges associations.
Anna Moï a beaucoup traité dans ses précédents romans le thème de l’exil des Vietnamiens comme par exemple La nostalgie de la rizière. Dans Douze palais de mémoire, Anna Moï décrit la fuite, à bord d’une embarcation de fortune, d’un groupe de Boat People, ces réfugiés qui ont décidé de quitter le Vietnam après la victoire des communistes et la chute de Saïgon an avril 1975. L’auteure s’attache plus particulièrement à Khanh, et à sa fille Tiên, âgée de six ans. Khanh, dont le père a exercé les talents d’astrologue, a reçu de ce dernier les grandes lignes directrices de son thème astral : la configuration de ses douze palais, le palais désignant un domaine précis : » les Finances, l’Immobilier, la Carrière, les Amis, les Parents, les Voyages, la Destinée, la Santé, la Fratrie, le Mariage, les Enfants, les Mathématiques. »
A ces palais, Anna Moï associe la méthode des loci, des lieux, mise au point par un philosophe de l’Antiquité, Céos ; celle-ci permettant de reconstituer un souvenir à partir d’un fait concret, par exemple la position à table de participants à un repas permettant de retrouver leur identité.
Ce qui intéresse le narrateur dans l’étude des mécanismes de la mémoire, c’est le choix des territoires abstraits, la méthode des analogies ; pourtant, il reconnaît être « assidu du palais de l’Amour » mais que « certains événements ne s’effacent pas malgré mes efforts pour les négliger, il est difficile de lutter contre le choc d’une émotion forte. »
Ce qui suscite l’intérêt du lecteur, c’est la distance prise aussi bien par Khanh, le père que Tiên, sa fille. Celle-ci , dont on demande si elle a conscience de la gravité de l’événement reste espiègle, moqueuse vis-à-vis des membres de l’équipage du rafiot, et garde de l’ironie et de la distance face à la situation .Khanh, à l’inverse, plonge dans ses souvenirs , ravive la mémoire de son épouse disparue Moa , décrit les conditions de la conquête du Vietnam par le régime communiste , et révèle peu à peu que les causes profondes de son départ du Vietnam ne sont peut-être pas exclusivement politiques … Khanh conclut ainsi ,éloquemment, à propos de l’émigration : « De fait, nous avons tous été lésés de quelque chose, à commencer par la vie telle que nous la connaissions. Il ne nous a pas manqué un œil, mais une vision. Nous n’avons pas été amputés d’un bras, mais du geste de le tendre vers autrui. » Parfait constat des séquelles d’une odyssée involontaire, douloureuse, mais qui a laissé entrevoir pour ces boat people un avenir discernable.

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