La Maison du Belge de Isabelle Bielecki

La Maison du Belge de Isabelle Bielecki

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 13 février 2021 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
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L'amour chez les seniors

Dans ce troisième tome d’une trilogie qui comporte « Les mots de Russie », évoquant les origines russes de son père, et « Les tulipes du Japon », racontant l’époque où elle travaillait dans une société nippone, Isabelle Bielecki raconte la vie d’Elisabeth, une femme qui lui ressemble étrangement, quand elle est tombée amoureuse d’un homme riche exerçant de nombreux mandats dans la sphère économique et financière bruxelloise. Un soir, en revenant chez elle, elle entre dans le logement de sa voisine et amie décédée, prise de nostalgie, elle lui rappelle la vie qu’elle menait quand elle vivait encore et la vie qu’elle mène maintenant qu’elle n’est plus là pour la soutenir et la conseiller.

La vie d’Elisabeth est bien compliquée, elle a déjà vécu avec deux hommes, elle est mère de famille, elle a la cinquantaine mais elle vit seule, elle n’en peut plus, son corps demande de l’amour et son cœur de l’affection. Elle a besoin d’une présence, il lui faut un homme qui l’aime et la fasse vibrer. Un jour, un bel homme distingué, Ludo, l’accroche, il est riche et puissant, il s’intéresse à elle, Cupidon les réunit, leur histoire commence par de folles étreintes. Désormais la vie d’Elisabeth déborde, elle doit composer avec ses activités professionnelles de plus en plus accaparantes, son irrépressible besoin d’écrire et sa vie amoureuse et mondaine avec Ludo.

Elisabeth sort d’un burn out et d’une longue période d’amnésie provoqués par un patron nippon très méprisant. Sa vie professionnelle dans cette société a été compliquée, elle l’a racontée dans l’opus précédent. Dans celui-ci, elle parle peu de son emploi si ce n’est pour dire qu’il devient de plus en plus accaparant et qu’il empiète de plus en plus sur le temps qu’elle pourrait consacrer à ses écrits ou réserver à son amant.

Sa vie littéraire est beaucoup plus importante, pour elle c’est une activité nécessaire à sa reconstruction, un devoir envers on père décédé qui lui avait demandé d’écrire ses mémoires pour qu’il puisse donner sa version de ce dont on l’accusait, des relations qu’il aurait eues, pendant la guerre, avec les Allemands alors que lui était encore citoyen russe. Elle n’a pas pu écrire ce texte, elle était trop jeune pour comprendre toutes les révélations qu’on lui proposait d’écrire. Et, depuis, elle culpabilise. Elle s’est lancée dans l’écriture d’un roman pour rendre justice à son père et étouffer cette culpabilité qui l’étouffe. Elle écrit aussi de la poésie et du théâtre qu’elle s’efforce de faire jouer sans grand succès.

Mais, c’est Ludo qui occupe la place principale dans ce livre, Ludo qui la sort dans les premières, l’invite au spectacle et au restaurant, l’emmène en vacances, en week-end, en croisière dans des résidence de luxe. Ludo qui la comble physiquement. Ludo avec qui elle partage de véritables orgies bachiques. Ludo dont elle est le complément parfait. Mais, Ludo qui est aussi un grand manipulateur, lui laissant espérer le mariage sans jamais lui proposer, lui promettant son soutien éditorial sans ne jamais rien faire, lui proposant un prêt dont elle ne verra pas le premier sou, etc…. Ludo qu’elle voudrait quitter mais elle ne le peut pas et il ne le veut pas. Ludo qui vieillit et qui décline irrésistiblement.

Dans ce texte d’une grande densité, écrit comme dans l’urgence, Isabelle embarque le lecteur dans son histoire d’amour qui remonte à la surface son enfance malheureuse avec une mère violente et méprisante. Avec une écriture fébrile, passionnée, une écriture évoquant le tempérament slave avec tous les excès qu’il peut générer : sentiments débordants, réactions impulsives, passions exubérantes, amours subversifs, cuites phénoménales. Elisabeth est sortie de son angoisse et de son amnésie mais elle est tombée sou la coupe de son tempérament et dans les rets de son amant. Son amour peut mourir, sa carrière littéraire peut décoller, sa vie peut prendre un autre tour. Elle se raconte à Marina son amie décédée qui ne peut, hélas, plus entendre ses confidences et lui proférer des conseils pleins de bon sens et surtout lui demander d’écrire, d’écrire encore et encore …

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L'écriture et la vie

9 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 30 mars 2021

Par un dispositif narratif – analysé dans la préface par Myriam Watthee-Delmotte fait d’ « emboîtements signifiants » – Isabelle BIELECKI clôt en beauté son triptyque romanesque entamé en 2006 par Les Mots de Russie (E.M.E.) et poursuivi en 2017 avec Les Tulipes du Japon (M.E.O.).

Trois noms de pays associés à trois noms communs pour raconter une vie, celle de l’autrice mais aussi celle de ses parents, de même qu’un itinéraire, partant de Russie pour arriver en Belgique où elle travaillera au service d’une entreprise nippone. C’est la seconde partie du XXème siècle qui défile, à la façon d’un bilan du siècle passé même si l’action évoquée dans ce récit se déroule au début du XXIème.

En 73 phrases-clés, Isabelle Bielecki ouvre les diverses portes de sa maison romanesque. Elisabeth, son double romanesque, se base sur le Journal qu’elle a tenu durant les faits pour raconter le récit chronologique d’une liaison sur une dizaine d’années.

Le dispositif, qui en épouse divers éléments, fait penser à celui d’une cure psychanalytique. Après chaque remémoration des épisodes, elle l’analyse dans le studio de Marina, une proche de sa mère. C’est de là qu’elle conte cette histoire d’un amour contrarié avec un amant ne pensant qu’à accroître son pouvoir au sein d’un holding financier et ne renoncera jamais à quitter son poste. De même, il ne voudra jamais vivre avec cette femme aux ressources financières plus modestes qui risquerait, à terme, de lui faire de l’ombre par son activité littéraire. La Maison du Belge, seconde résidence de l’amant en France, peut figurer ce pays qu’elle ne pourra vraiment investir qu’une fois devenue romancière.

L’histoire contrariée avec son amant fait écho à sa relation avec ses parents et nourrit les réminiscences propres à son travail littéraire en cours. Cette situation, aussi pénible à vivre soit-elle, va être le terreau nourricier de l’écriture du roman familial, celui que son père lui a commandé d’écrire. Tâche qu’elle mènera à terme en dépit d’une activité professionnelle prenante.

On assiste ainsi à la naissance d’un livre et d’une romancière (car la narratrice a déjà écrit des pièces de théâtre et de la poésie) dans le même temps où un autre texte se construit et se lit sous nos yeux.

Mais il ne faudrait pas n’y voir que les amours malheureuses d’une femme reproduisant un trauma issu de l’enfance. Ce roman dénonce subtilement la mainmise masculine sur le monde de l’entreprise mais aussi sur le celui du théâtre et les collusions existant entre les deux, qui plus est lorsqu’elle s’applique sur une femme issue de l’immigration qu’on ne maintient que dans des seconds rôles, de faire-valoir, ceux de secrétaire ou bien de maîtresse.

De plus, le roman est narré dans un style alerte, limpide, jouant des diverses strates narratives, qu’on ne parvient pas à laisser avant la fin.

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