L'Impure de Guy Des Cars

L'Impure de Guy Des Cars

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Fanou03, le 30 novembre 2020 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 49 ans)
La note : 6 étoiles
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La marque des bannis

Cela faisait belle lurette que je me demandais de quoi pouvaient bien être faits les romans de Guy des Cars. L’impure est une œuvre très instructive de ce point de vue. L’auteur a la réputation de relever d’une certaine littérature populaire de bas-étage : je pensais donc trouver, je l’avoue, un récit « à l’eau de rose » un peu mièvre. Certes le roman n’échappe pas toujours à ces deux caractéristiques. Mais il est loin de n’être que cela, se révélant nettement plus complexe et moins formaté que ce à quoi je m’attendais.

En tout cas je suis bien forcé d’admettre que Guy des Cars m’a pris par surprise. Les premiers temps du récit sont en effet dans le plus pur jus romantique, bourrés de clichés et de mécanismes propres au genre. Ils mettent en scène Chantal, magnifique jeune femme en croisière sur un luxueux paquebot, dans les années 1930, et rencontrant au cours d’une soirée un bel et mâle ingénieur. Malgré son trouble, Chantal fait son effarouchée et se refuse aux avances du doux séducteur. Oh la la se dit-on quel terrible secret doit-elle cacher pour ainsi se dérober à l’amour qui lui tend les bras ? Eh bien les amis le secret de Chantal on l’apprend assez vite et mon sourire de circonstance à la lecture des premières pages a vite disparu. La jeune, jolie, superbe Chantal est atteinte de la lèpre. Ah oui quand même : il y va fort le Guy des Cars là me dis-je. Et sa croisière n’est pas une croisière de détente : elle se rend à une léproserie réputée, sur l’île de Magokaï au fin fond des Fidji pour tenter de s’y faire soigner...

La lèpre ! Le choix même de « l’obstacle » narratif qu’a choisi Guy des Cars dépasse, en 1946 et même maintenant, bien ceux des scénarios de n’importe quel ouvrage de romance. Au vingt-et-unième siècle on en grimace encore de dégoût. La maladie n’est pas vaincue, elle est rampante, silencieuse dans bien des coins du Monde, et colporte encore avec elle, dans toutes les sociétés, l’image de la malédiction divine et de l’opprobre. En fait de romance l’impure se révèle être surtout un mélodrame, très abouti et où les outrances éventuelles plutôt sont bien maîtrisées. Le scénario par exemple, qui est pour le moins un peu inattendu, se base de toute évidence sur une documentation sérieuse : après vérification l’île de Makogaï dans les Fidji a bel et bien été une léproserie jusque dans les années 1970. On y soignait bien les malades à l’aide de cette mystérieuse huile de chaulmoogra issue d’un arbre du genre Hydnocarpus. On voit donc que Guy des Cars a tenu à écrire son drame dans le cadre d’un certain réalisme.

Le gros du récit se passe donc sur Makogaï, loin du luxe parisien et du plaisir auquel aspirait Chantal. Guy des Cars ne s’affranchit pas des préjugés de son époque : Chantal, bien que malade, fréquente essentiellement « l’élite » blanche de l’île, c’est-à-dire les médecins et les religieux (et comme par hasard le seul médecin fidjien de l’équipe n’est jamais nommé…). La plèbe grouillante de chinois, d’indiens, de polynésiens venus des quatre coins de l’Asie, meurtris, rendus fous même par la douleur et le désespoir, forment l’autre partie, pathétique et terrible, du paysage humain du roman. La vision qu'en fait Guy des Cars peut mettre mal à l'aise. C'est à quelques exceptions près, une foule anonyme, et elle nous inspire des sentiments contradictoires : les malades restent des hommes et des femmes, touchants (l’image de cette mère berçant son enfants avec les moignons de bras qui lui restent...), diminués et fragiles mais qui peuvent s’avérer hostiles et haineux.

La futile Chantal, ébranlée par la vision de cette souffrance morale et physique, va faire son propre cheminement spirituel, qu’on jugera selon son goût mais qui a le mérite d’élever singulièrement la profondeur de l’œuvre. Elle pose ainsi la question des vanités, de l’expiation et de la rédemption. La conclusion du roman fait ainsi un dernier pied-de-nez au happy-end attendu, achevant de faire de l’impure un roman émouvant, contrasté et au final très intéressant.

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