A propos de Pre de Daniel Charneux

A propos de Pre de Daniel Charneux

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 10 septembre 2020 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 206ème position).
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A l'ombre d'un champion

Cette lecture m’a rappelé ma première participation à des forums littéraires sur la Toile, je me souviens particulièrement de ce site Internet, désormais historique, sur lequel j’ai rencontré Daniel Charneux et des forums qu’il partageait avec quelques autres marathoniens pour évoquer leurs courses, leur préparation, leurs entraînements, leurs plus ou moins gros bobos et aussi bien évidemment leurs lectures. Je les lisais mais, étant un médiocre coureur à pieds, je me tenais à l’écart de leurs discussions préférant regarder le sport à la télévision. J’ai ainsi gardé le souvenir de beaucoup de coureurs, de courses, d’événements que Daniel raconte dans son livre dans lequel j’ai plongé avec une certaine délectation oubliant l’époque où j’avais l’impression que les lecteurs passionnés étaient tous des coureurs de fond et que, moi le sportif de télévision dans son fauteuil, j’étais un intrus dans le groupe.

Le sport et ma passion, j’ai été un médiocre participant mais un dirigeant avisé et très investi, je connais presque tous les sportifs que cite Daniel Charneux mais Prefontaine, Pre pour ses amis, m’a échappé, je ne me souviens pas de lui, même si je me souviens de Bob Schul celui qui a battu Michel Jazy aux Jeux Olympiques de Tokyo où il a été terminé quatrième tout comme Prefontaine à Munich. Pour moi les Jeux Olympiques de Munich resteront à tout jamais ceux de l’horreur, ceux de l’abominable attentat qui a décimé la délégation israélienne. Pour la première fois on attaquait mortellement des sportifs s’affrontant pendant ce qui était dans l’Antiquité une parenthèse de paix entre les peuples. Merci Daniel de m’avoir rappelé cette période que ma mémoire a un peu occultée.

Dans ce texte, Daniel Charneux a confié sa plume à Pete, un ami d’enfance de Pre, un gars qui à l’approche des soixante-dix ans court toujours, pour qu’il raconte ses souvenirs. Dans sa chronique Il évoque bien évidemment son enfance dans l’Oregon avec ce champion atypique bourré de talent, doté de capacités exceptionnelles, capable à l’entraînement de multiplier les efforts le plus épuisants mais un peu désinvolte et très soucieux de toujours déployer le maximum de panache, refusant les victoires de « comptables, ceux qui profitent des efforts des autres pour triompher. Dans cette chronique, il raconte encore les courses qu’il effectue régulièrement avec ses amis du club de la petite ville de l’Oregon où il réside toujours et où est né Pre. Il décrit le plaisir de courir, la joie de raconter à ses amis du club des anecdotes sur la vie et les performances incroyables de son ami, son côté désinvolte, sa carrière inachevée. Et, il écrit « Comme chaque semaine ou presque, nous avons revécu le relais », le fameux relais, leur grand souvenir, leur épopée mythologique, leur participation l’un de plus grands relais du monde le Hood to Coast Relay, environ trois-cent-vingt kilomètres km de course pour une équipe de douze relayeurs. Leur Graal, l’événement qui les a soudés à jamais par-dessus les générations, la différence entre femmes et hommes, leurs différences sociales et professionnelles autour de leur seul point commun : courir jusqu’au bout !

Pete c’est un peu l’auteur comme lui il court, il a un peu près le même âge, il est peut-être un peu plus seul, je ne connais pas suffisamment Daniel pour parler de sa vie privée pour savoir si elle pourrait ressembler à celle de Pete. Mais, Pete parle du monde qui va mal comme Daniel pourrait en parler sans ménager le Président des Etats-Unis, en dénonçant les règles absconses et les comportements irrespectueux de la nature, en élevant l’amitié au rang de vertu…

Cette évocation de la course à pieds dans la nature évoque pour moi la lecture très récente de Monsieur Minus, le dernier roman de Laurent Graff, qui narre comment un richissime héritier fuit sa fortune en parcourant les sentiers de grande randonnée. « … Il sentait sous ses pieds les reliefs du sol, les cailloux, les mottes, les brindilles, les coques, qui agissaient sur la plante de ses pieds comme des aiguilles d’acupuncture, qui semblaient activer des réseaux de sensations parcourant son corps… ». J’ai trouvé dans ces deux textes le même plaisir de parcourir la nature et aussi un style et une écriture qu’on croirait appris à la même école. J’aimerais à croire que ses deux auteurs courent un footing ensemble ou partage un bout de sentiers de conserve en parlant de littérature. Et, si je n’avais pas seulement rêvé !

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Bel Ami

9 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 30 mars 2021

Daniel CHARNEUX sait, ô combien, embrasser des destinées (de personnages fictifs ou ayant existé), des époques et des contrées. En inscrivant ses personnages dans un cadre strict, référencé, il les fait d’autant mieux exister aux yeux du lecteur.

Pour ne citer que les personnages réels de sa bibliographie, revisités par son imaginaire, il va sans dire, on trouve Ryokan (Nuage et eau, Luce Wilquin), Lady Jane Grey (Si près de l’aurore, Luce Wilquin), Thomas More (essai-variations, M.E.O) ou bien Mariyn Monroe (Norma roman, Luce Wilquin). En termes d’époque, on peut dire que l’action du présent livre prend peu ou prou le relais de celle de Norma Jean Baker (même si, dans le Norma roman de Charneux, on rappellera que sa Marilyn ne meurt pas à la date officielle de son décès).

L’action de ce nouveau roman se passe à Coos Bay, une ville en Oregon où vit le narrateur, Pete Miller, un ami d’enfance de Steve Prefontaine avec lequel il a très tôt partagé son goût et la pratique de la course à pied. Pete a 68 ans, il est veuf, retraité et a abandonné la compétition vingt ans plus tôt sans avoir renoncé pour le plaisir et l’esprit d’équipe à la course à pied qui « doit rester la plus importante des choses secondaires ».

Après la disparition précoce de Prefontaine, Pete est devenu son mémorialiste, celui d’un grand sportif, mais à l’ancienne, un homme au grand cœur qui pratiquait la course comme un art, dans l’esprit olympique non encore fourvoyé, tout en poursuivant ses études universitaires.

Ce qu’on lit est le Journal qu’a tenu Pete sur une période de trois mois au début de l’année 2020 pour se rappeler le parcours de Prefontaine mais aussi les préparatifs, la constitution de l’équipe des douze relayeurs, plaisamment rassemblés sous l’appellation de « Les Tortues chics », de ce qu’il nomme « sa grande aventure de 2018 », à savoir une course relais, la plus grande du monde, qui participe par ailleurs de la lutte contre le cancer.

« Quand je parle de Steve, j’ai l’impression qu’il suffit que j’ouvre un robinet pour que coulent les souvenirs. (…) Il me semble, à moi, que ces années où Steve et moi entrions dans notre adolescence voyaient déjà la fin d’une utopie. » Les deux amis sont de jeunes ados en 1962 ; ils connaîtront les bouleversements politiques qui secoueront les Etats-Unis des Sixties de la Guerre froide. Et au début de la décennie suivante, Steve Prefontaine sera présent en 1972 dans le village olympique à Munich lors de la sanglante prise d’otages par le groupe terroriste Septembre noir avant, quelques jours plus tard, de terminer quatrième sur le 5000 mètres masculin.

Pour l’anecdote mais pas que, Steve Prefontaine, a participé au début des années 70 au développement de la marque Nike, par l’entremise de son coach, qui en est un des fondateurs. Car Charneux dépeint cette époque charnière où le sport, bientôt cannibalisé par le capitalisme, va perdre son âme et devenir une valeur marchande, jusqu’au jogging, lancé comme une marque de loisirs et sur une méprise, qu’on a un peu vendu comme la forme populaire de la course à pied. Steve, puis Pete à sa suite, à leur manière luttent contre cette emprise commerciale en préservant par tous les moyens la noblesse de l’engagement sportif.

Un beau livre sur l’amitié qui pose, sous un angle singulier, des questions pertinentes sur le sport mais aussi l’approche de la vieillesse, sur le monde aussi, comme et où il va depuis les années 60, pour proposer des façons de résister à son inhumanité en défendant quelques valeurs éthiques fondamentales.

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