La Centaine d'amour de Pablo Neruda

La Centaine d'amour de Pablo Neruda
( Cien sonetos de amor)

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Kinbote, le 10 août 2004 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 562ème position).
Visites : 16 965  (depuis Novembre 2007)

L'amour, la poésie

Ces cent sonnets (non rimés) ont été écrits par la grand poète chilien pour Mathilde Urrutia, sa femme, qu’il avait épousée en 55. Ils furent publiés en 59 (Neruda qui s’éteindra en 1973 avait 55 ans). La présente édition est une édition bilingue traduite de l’espagnol par Jean Marcenac et André Bonhomme. Les sonnets se répartissent en quatre sections : matin, midi, soir et nuit.

Au matin (manana), l’amour se consume. Ses flammes sont hautes et occupent tout l’horizon du poème, absorbant l’étendue du regard («oh envahis-moi de ta bouche qui me brûle »). Tout renvoie à la passion.
« Que ne t’atteigne pas l’air, l’aurore, la nuit,
Mais seulement la terre, et la vertu des grappes,
Et la pomme qui pousse en retenant l’eau pure,
La résine et la boue de ta terre odorante. »
L’amour nouveau efface les vies, les errances traversées. Le sentiment de vivre est exalté ; comment pourrait-on mourir quand on aime et est aimé et que la vision du monde s’accorde à nos désirs ?
« Tout ce qui est vivant vit pour que moi je vive :
A quoi bon m’éloigner puisque je peux tout voir ? »
La passion s’alimente à son propre feu (« j’ai faim de tes cheveux, de ta voix, de ta bouche »)
La femme aimée est toutes les femmes (« femme totale, pomme de chair, feu de lune »). Son corps est un repaire d’infinités («Je parcours de baisers ton petit infini »). Les mots ne suffisent plus à rendre compte de toutes les merveilles.
« Il me manque de temps pour louer tes cheveux
Il me faut les compter, les chanter un à un. »
Le monde se réduit à un seul être ; nul besoin d’autres étoiles ! (« L’univers, c’est toi qui le répètes et le multiplie »). L’amour ne s’embarrasse pas de pourquoi, de comment («Je t’aime sans savoir comment, ni quand ni d’où »). Tel un trou noir, l’amoureuse engloutit les possibles contrariétés (« mon amour, j’aime en toi le clair et l’obscur »). L’amour est la nudité même, rien ne peut troubler son éclat, couvrir son absolue beauté.
« Toute nue tu es jaune et tu es gigantesque,
on dirait un été dans une église d’or. »

A midi (mediodia), l’amour atteint son zénith, il assure l’ordre des choses, il est maître des splendeurs, mais les éléments émergent peu à peu de la confusion où l’amour dans son éclat souverain les avait relégués. La passion s’installe dans ses meubles. On est sûr de tout!
« J’ai seulement choisi l’étoile que j’aimais
Et depuis ce temps-là je dors avec la nuit »
On a beau chercher des comparaisons, scruter chez les autres des ressemblances, non, la femme aimée est bien la seule, l’unique.
« Je cherche, aucune n’a ta palpitation.
Ton intégrité n’est pas menacée.
Oui tu es totale et brève, une entre toutes.
Et quand je suis avec toi, à aimer, je parcours
L’estuaire féminin, large Mississippi. »
Mais on perçoit que la nature est double, que le non amour fait partie de l’amour.
« Sache que je ne t’aime pas et que je t’aime
Puisque est double la façon d’être de la vie. »
Cependant on affiche de la prudence...
« Moi je t‘aime (...) pour que jamais je ne cesse de t’aimer »

Au soir (tarde), le bonheur est menacé, la lumière du matin n’est plus que réminiscence.
« Ronces, verres brisés, larmes et maladies
Assiègent joue et nuit le miel de tout bonheur »
A marée basse, la plage désertée expose les miasmes de ses recouvrements marins.
« La vie est une glu, choléra ou rivière
Et elle ouvre un tunnel sanglant où nous surveillent
Les yeux d’une famille immense de douleurs. »
Des éclairs persistent, issus de l’ancienne félicité de lumière.
« Et perdu dans l’obscur, la nuit sous tes paupières
Quand la neuve clarté vient pour m’envelopper
Je renais à nouveau, maître de mes ténèbres. »
On perpétue le souvenir, on se refuse à croire au retour des vieux démons.
« Ils mentent en disant que j’ai perdu la lune,
En me prophétisant un avenir de sable »
Les amoureux font front pour faire reculer les fantômes d’un passé de solitude.
« L’amour venait avec sa traîne de douleurs
(...) Et nous avons fermé les yeux pour que plus rien,
Pour que pas une blessure ne nous sépare »
Le nom de l’aimée ne suffit pas à ranimer le sentiment dont il était porteur (« Mathilde, où donc es-tu ? »). Le tendre sentiment peut se transformer en son contraire, le feu être pris de frissons.
(« Je t’aime parce que je t’aime et voilà tout »)
Il est malmené, précarisé, voué à un doute permanent.
« Et de t’aimer j’en arrive à ne pas t’aimer
Et de t’attendre alors que je ne t’attends plus
Mon cœur peut en passer du froid à la brûlure. »
On déchante de l’amour. On le renforce par l’image de ce qu’il fut, on multiplie les rituels d’invocation, les appels à un renouveau.
« C’est l’hiver, mon amour, qui reprend ses quartiers »

A la nuit (noche), l’heure du sommeil referme l’amour sur soi, les douleurs sont remises au lendemain.
« Amour, douleur, travaux, c’est l’heure de dormir »
(...) Sur cette nef, sur l’eau, la mort, la renaissance,
Unis et endormis, ressuscités encore,
Nous marions tous deux la nuit avec le sang. »
La nuit rapproche les êtres, elle rend invisible ce qui les sépare, panse d’un onguent d’ombre les blessures ouvertes.
« Bonheur de te sentir près de moi, dans la nuit
Invisible endormie, sérieusement nocturne. »
Le corps endormi couvre un ancien feu.
« Je m’incline sur le feu de ton corps nocturne. »
La nuit qui préfigure la mort fait surnager le principal, l’unique construction qui vaille : les amours vécues.
« J’ai cru mourir, et j’ai senti le froid de près,
De ce que j’ai vécu je ne laissais que toi,
Ta bouche était mon jour et ma nuit de la terre
Et ta peau le pays fondé par mes baisers. »
L’aurore peut être charriera un jour nouveau, la promesse d’un amour ressuscité et vivant.
« Qui de nous vit ou meurt, qui repose ou s’éveille ?
Je connais seulement que ton cœur distribue
Dans ma poitrine tous les présents de l’aurore. »

A offrir d’urgence à sa belle. Tant que c’est l’été !

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Le summum

10 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 24 mars 2013

Que dire de plus de ce recueil magistral qui nous offre tant d'images de toute beauté et de vives émotions ? Qui oserait dire qu'il n'aimerait pas qu'on lui déclame un jour ces poèmes, le summum de la passion et de l'amour, avec tout ce qu'ils peuvent engendrer ?

J'ai lu une nouvelle fois "La Centaine d'amour" parce que Pablo Neruda est le Poète mis à l'honneur cette année dans le cadre du Printemps des Poètes, et je proposais une lecture de ses oeuvres, entre autres. Je craignais que ses poèmes soient un peu boudés, le thème déjà, qui semble parfois suranné ou qui prête à sourire, et j'ai été agréablement surprise de constater que l'intérêt des lecteurs conviés était là.
Et quand l'un d'eux a déclamé quelques poèmes de cet ouvrage, y mettant le ton juste et le coeur bien à propos, je vous assure que l'assemblée s'en est trouvée transportée.

Je conseille donc à chacun la lecture de "La Centaine d'amour", ce sont des poèmes magnifiques. Je regrette de ne pas connaître l'espagnol, il me semble que les mots chantent encore plus.

Pour conclure, je mets un de ces poèmes que j'aime beaucoup, tiré de "La nuit"

"La parole même, un papier écrit,
par les mille mains d'une seule main,
passe à travers toi, inutile aux rêves,
et tombe par terre, et s'y continue.

Et qu'importe donc, lumière ou louange,
qu'elle soit versée, débordant la coupe :
elle est du vin le tremblement tenace,
et tes lèvres sont teintes d'amarante.

Il ne veut plus la syllabe tardive,
ce qu'apporte encore et toujours l'écueil
de mes souvenirs, l'écume irritée,

il veut seulement écrire ton nom.
Même si le tait mon amour nocturne
le printemps plus tard saura bien le dire."

Un hymne éternel à l'amour...

10 étoiles

Critique de Laventuriere (, Inscrite le 6 mars 2010, - ans) - 2 janvier 2012

Lire l'amour avec les mots, les vers de Neruda, c'est croire à l'infinitude, à la beauté, à la magie éternelle de l'amour, aux émotions, à la puissance de ce sentiment qui sera d'éternité...

...C'est se délecter de...

"Maintenant, bien-aimée, par la mer crépitante
comme deux oiseaux aveugles nous revenos
vers notre mur, notre nid du lointain printemps,

puisque l'amour ne peut voler sans s'arrêter:
notre vie va au mur, aux pierres de la mer,
les baisers sont rentrés à notre territoire."

....ou encore avec ces autres vers:

"Nommez-a!Nommez-la! elle n'a pas de nom
la feuille, pas de nom, l'eau sombre qui palpite
sourde, au milieu de la forêt, sur le chemin.

C'est ainsi, mon amour, que j'appris ma blessure,
nul en ce lieu pourtant ne parlait, hormis l'ombre,
la vagabonde nuit, le baiser de la pluie."

...Avec Neruda, nous partons redécouvrir tous les plaisirs et toutes les sensualités...

A lire toute l'année

8 étoiles

Critique de Fee carabine (, Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans) - 11 août 2004

Une très belle critique de Kinbote pour ce très beau recueil de Pablo Neruda...

Cent sonnets qui évoquent tous les visages du couple et de l'amour, la passion sensuelle - les parfums de l'été et les fruits gorgés de soleil, l'ombre du doute et de la jalousie, la confiance et la tendresse du sommeil partagé:

"Mienne que ton sommeil repose en mon sommeil
(...)

Nulle autre, amour, ne dormira avec mes rêves.
Tu iras, nous irons, sur l'eau du temps, ensemble.
Et dans l'ombre avec moi nulle autre voyageuse
que toi, lune et soleil, toujours mon immortelle."

Comme le dit Kinbote, c'est un livre à offrir à la femme (ou à l'homme) de sa vie, mais pas seulement cet été... Pour moi, ce livre fut un rayon de soleil dans ma découverte de l'hiver canadien... A lire, ou à offrir, toute l'année.

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