Fin du siècle des ombres : Chroniques politiques et littéraires de Jean-François Revel

Fin du siècle des ombres : Chroniques politiques et littéraires de Jean-François Revel

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Anonyme11, le 21 août 2020 (Inscrit(e) le 18 août 2020, - ans)
La note : 10 étoiles
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L'un de nos plus grands Penseurs du XXème siècle !

Le talentueux : journaliste, écrivain, philosophe, chroniqueur, essayiste politique, mémorialiste, historien, Académicien, Jean-François Revel, pour fêter à sa manière la fin de ce terrifiant XXème siècle, nous a gratifié, en 1999, de cet extraordinaire ouvrage-compilation, reprenant d’innombrables chroniques politiques et littéraires publiées entre 1983 et 1999.
Moi qui étais, au début de cette période un adolescent parfaitement insouciant et indifférent du monde dans lequel il vivait, politiquement ignorant et historiquement complètement inculte, ce passionnant ouvrage m’a permis de recontextualiser d’importants évènements du XXème siècle…
En effet, Jean-François Revel possédait une culture générale, un don et un talent incomparables pour décrire, synthétiser et analyser les phénomènes de société.
À la manière d’un George Orwell, il était même un visionnaire puisque certains de ces phénomènes qu’il décrivait il y a déjà 30 ans de cela, ont toujours des répercussions de nos jours, et nombres d’entre eux se sont confirmés, amplifiés, ou sont simplement toujours d’actualité, voire certains ont même réapparus aujourd’hui.
Ses analyses extrêmement précises, sa fulgurante clairvoyance, son pragmatisme intellectuel, son absence de langue de bois et sa totale liberté de penser et d’expression nous seraient fort utiles, de nos jours, pour analyser notre société Française et notre Humanité, devenue Mondialisée.
Rares sont les intellectuels, aujourd’hui, aussi libres Penseurs que lui.
Disparu en 2006, Jean-François Revel laisse un vide incommensurable pour Penser notre Monde et notre époque.

En ce début de XXIème siècle, nous aurions donc bien besoin de toute la lucidité de ses analyses, dans une société Française hagarde, à la recherche de ses valeurs ; et un État Français au bord du dépôt de bilan, à cause de nos élites (de droite comme de gauche), depuis plus de 30 ans. En effet, ces élites politiques et intellectuelles n’ont pas la volonté et sont trop pusillanimes pour entreprendre de donner un véritable cap politique, économique et social à la France ; et sauvegarder ce qu’il reste encore de notre culture, de nos valeurs et de nos principes Républicains et Laïcs.

En hommage à Jean-François Revel, grand spécialiste du Totalitarisme Communiste avec d’autres, comme : Raymond Aron, Hannah Arendt, Tzvetan Todorov, Alain Besançon, Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Dominique Colas, Pierre Rigoulot, etc., je ne peux résister, ici, à la tentation de vous faire partager cette brillante chronique ci-dessous, publiée en 1997, suite à la sortie du, devenu célèbre : « Livre Noir du Communisme », sous la direction de l’historien Stéphane Courtois (pages 600 à 604) :
« Le communisme : 85 millions de morts !

La publication du monumental Livre noir du communisme a été précédée d’un tapage autour d’un désaccord entre la maître d’œuvre, Stéphane Courtois, et deux des principaux auteurs (sur onze) de ce grand travail collectif. Évidente était l’intention de discréditer l’ouvrage à titre prophylactique, tant on gonfla le racontar au détriment du compte rendu.
Que Nicolas Werth et, surtout, Jean-Louis Margolin aient élevé des objections de dernière minute contre certaines formulations de Courtois dans une « Introduction » qui leur avait pourtant été soumise, c’est un fait. Mais qui relève de la querelle terminologique ou idéologique, sans altérer en rien l’essentiel : la richesse documentaire du Livre noir. Au demeurant, les deux parties du livre que Werth et Margolin ont écrites (et magistralement), le premier sur l’URSS, le second sur la Chine, le Vietnam et le Cambodge, établissent des bilans qui corroborent en substance le tableau d’ensemble et les interprétations de Courtois, J’ignore que fut le ressort de leur tardif regimbement, mais je ne l’aperçois en tout cas pas dans leur propre travail d’historiens.
On peut discuter sur des chiffres que le secret dissimule encore partiellement. On peut balancer si Mao a tué 60 ou 70 ou 65 millions de personnes, on peut observer que, malgré la répression et les procès truqués, il n’y a pas eu, en Tchécoslovaquie, de génocide, comme au Cambodge. Ces hésitations sont propres à l’esprit scientifique, elles ne changent rien au scandale moral. Quand on disait, vers 1950 : « Les nazis on tué 6 millions de juifs », il se trouvait des gens pour vous répondre : « Non, ils n’en ont tué que 4 millions. » La logique intrinsèquement criminelle du communisme comme du nazisme n’est en rien infirmée par ces chipotages indécents.
Je n’aurais pas relaté d’aussi mesquines chamailleries si elles ne faisaient pas, en quelque sorte, partie du sujet que traite le livre dont il est question. Elles témoignent de la puissance d’intimidation que conservent les adeptes rétroactifs et rétrogrades du communisme. Si le monstre est mort comme phénomène politique, il demeure bien vivant comme phénomène culturel. Le Mur est tombé à Berlin, mais pas dans les cerveaux. Décrire le communisme dans sa réalité reste un délit d’opinion.
La France en a eu la démonstration avec le « Bouillon de culture » du 7 novembre. Je venais justement de voir le dernier film de Steven Spielberg sur les dinosaures, et je n’ai eu aucune difficulté à effectuer la transition avec le numéro de cette célèbre émission de télévision consacré au Livre noir. Les communistes invités y sont parvenus à faire barrage aux historiens, l’un d’eux allant même jusqu’à traiter Stéphane Courtois… d’antisémite ! Leur but, censurer l’information, a été ainsi en partie atteint. Les téléspectateurs n’ont quasiment rien pu apprendre sur le contenu du livre. À force d’obstruction, les complices des crimes ont réussi encore une fois à les nier ou à soutenir, la main sur le cœur et des sanglots dans la voix, que ces forfaits n’avaient aucun rapport avec l’essence du communisme. Pourquoi le négationnisme, défini comme un délit quand il porte sur le nazisme, ne l’est-il pas quand il escamote les crimes communistes ? C’est que, aux yeux de la gauche, il subsiste de bons et de mauvais bourreaux. Le groupe socialiste européen, au Parlement de Strasbourg, a voté contre la motion reconnaissant le Tibet comme « pays occupé ».
Le refus par la gauche de classer les génocides communistes parmi les crimes contre l’humanité, au même titre que les génocides nazis, ne résiste ni à l’esprit de la science historique ni à la lettre des textes juridiques. Soulignant la motivation idéologique des crimes nazis, le procureur général français à Nuremberg, François de Menthon, disait : « Nous ne nous trouvons pas devant une criminalité accidentelle, occasionnelle, nous nous trouvons devant une criminalité systématique découlant directement et nécessairement d’une doctrine. » Cette description de la criminalité noire s’applique mot pour mot à la criminalité rouge. De même que lui convient parfaitement la définition du nouveau Code pénal français, adopté en 1992, selon laquelle le crime contre l’humanité inclut « la déportation, la réduction en esclavage, la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture, d’actes inhumains inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, et organisés en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile ». Or les massacres et déportations systématiques de groupes sociaux ou ethniques en raison de ce qu’ils sont, et non de ce qu’ils font, jalonnent toute l’histoire du communisme.
Ainsi, les 20 millions de morts (hors guerre) de l’URSS, les 65 millions de la Chine (Mao décroche la médaille de plus grand assassin de tous les temps), les 2 millions de morts du Cambodge (sur 7,8 millions d’habitants) ou de la Corée du Nord résultent tous d’exterminations programmées. Il n’y aura pas eu d’analyse sérieuse du communisme tant que la gauche n’aura pas admis que sa criminalité ne fut pas due à une improbable succession de ratages accidentels. C’est là ce que François Furet, qui devait préfacer ce Livre noir lorsqu’il disparut brutalement, en juillet, considérait, à propos de la Terreur de 1793-1794, comme la plus misérable des échappatoires pour un historien : l’explication par les circonstances. L’explication par la cause réelle, la seule qui rende vraiment compte des faits, à moins d’admettre que tout arrive par hasard, réside dans la logique d’un système entraînant à la liquidation physique pour motif idéologique.
Il est donc légitime de conclure à une tendance intrinsèquement criminogène du communisme, tant il a produit de copies conformes dans les circonstances les plus diverses et jusque dans ses métastases marginales, sous toutes les latitudes et dans les sociétés culturellement les plus différentes : à Cuba, en Éthiopie, en Angola, en Afghanistan, au Mozambique, au Laos, au Cambodge. Avec le total – prudent – de 85 millions de morts que dresse Courtois, il s’agit bien de crimes contre l’humanité, c’est-à-dire « commis au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique », et « en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire » (Code pénal français).
D’ailleurs, Hitler n’a pas commis que des crimes racistes. Il a exterminé, sans distinction de race ni de religion, des peuples occupés qui se soulevaient ou des otages inoffensifs, par exemple à Oradour. Mieux : comme Staline et avant Staline, il a égorgé ses propres compagnons, lors de la Nuit des longs couteaux. Inversement, parmi les crimes communistes figurent aussi des crimes racistes, visant collectivement des ethnies en tant que telles : Polonais, Baltes, Tatars, Moldaves, Ukrainiens, Tchétchènes massacrés sur place ou déportés en Sibérie pour y crever de faim et de froid. La politique chinoise au Tibet depuis l’invasion de 1950 ne peut pas se définir autrement que comme un ethnocide méthodique.
La méthode que, pour sa part, suivait en URSS le Guépéou, ancêtre du KGB, était celle des quotas. Chaque région devait arrêter, déporter ou fusiller un pourcentage donné de personnes appartenant à des couches sociales, idéologiques ou ethniques déterminées. Ce qui comptait, ce n’était pas l’individu ni son éventuelle culpabilité personnelle (par rapport à quoi, d’ailleurs ?), c’était le groupe auquel il appartenait.
Les amoncellements de cadavres exquis inspirèrent à Louis Aragon un « poème » où, en 1931, il appelle de ses vœux la création d’un Guépéou français :

« Je chante le Guépéou qui se forme en France à l’heure qu’il est
Je chante le Guépéou nécessaire en France
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou
Vive le Guépéou, figure dialectique de l’héroïsme. »

Cette déjection montre que même des vers de mirliton de la plus indigente facture peuvent servir d’appel au meurtre.
À point nommé, dans son Manuel du goulag, tout juste paru aussi, Jacques Rossi, qui goûta lui-même pendant dix-neuf ans aux plaisirs de ce type de villégiature, explique avec clarté le lien indissociable entre goulag et communisme. Car « le goulag servait de laboratoire secret au régime soviétique, dans le but de créer une société idéale : garde-à-vous et pensée unique ».
En outre, pour un système de gouvernement dès le départ condamné à la ruine matérielle par ses théories économiques imbéciles, le goulag était une façon de se procurer de la main-d’œuvre gratuite en réduisant en esclavage des millions d’individus. Or, on l’a vu, la déportation en vue de l’esclavage est reconnue en droit comme un des crimes contre l’humanité. C’est pourquoi, commente justement Rossi, « il est inutile de chercher à savoir lequel des totalitarismes, dans notre siècle, fut le plus barbare, lorsque tous deux imposèrent la pensée unique et laissèrent des montagnes de cadavres. »
Face à un tel constat, la gauche ressasse inlassablement son vieux cliché : le nazisme annonçait dès sa naissance un programme d’extermination tandis que le communisme se voulait, dans son principe, une doctrine de libération. À quoi l’on peut rétorquer que, loin d’être une excuse, c’est bien pire. Le nazisme avait au moins le sinistre mérite de la franchise. Le communisme a trompé des milliards d’hommes au nom d’un idéal de justice et de liberté dont tous ses actes ont constitué la contradiction permanente et absolue. On nous a, bien sûr, à « Bouillon de culture », ressorti le poncif avarié : « l’anéantissement de l’homme exprime non l’essence, mais la « perversion » du communisme. Vraiment ? Qu’est-ce donc que ce merveilleux système qui jamais, nulle part, n’a mis en œuvre autre chose que sa propre perversion ? Et la praxis, alors où la mettez-vous, mesdames et messieurs les marxistes ?
La nouveauté et l’immense intérêt de la somme historique réalisée par Stéphane Courtois et son équipe, c’est de nous présenter pour la première fois en un seul volume un panorama international complet du communisme dans toute son étendue géographique et chronologique. Les éléments de cette synthèse intégrale ne sont pas des opinions, ce sont des faits. Il incombe aux défenseurs opiniâtres de cette calamité du XXe siècle de nous expliquer de façon plausible pourquoi, selon eux, la vérité du communisme est exprimée non par ces faits, mais par une histoire qui n’a jamais existé. Qu’ils se sachent, au profond d’eux-mêmes, incapables de forger cette démonstration explique leur rancœur contre le livre qui vient de la rendre pour toujours impossible.

15 novembre 1997.

Le Livre noir du communisme ; crime, terreur, répression sous la direction de Stéphane Courtois, Robert Laffont.
Le Manuel du goulag ; dictionnaire historique de Jacques Rossi, Le Cherche-Midi éditeur. »

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