Algues vertes, l'histoire interdite de Inès Léraud (Scénario), Pierre Van Hove (Dessin)

Algues vertes, l'histoire interdite de Inès Léraud (Scénario), Pierre Van Hove (Dessin)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 3 avril 2020 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 605ème position).
Visites : 5 195 

La scandaleuse omerta bretonne

Hormis ceux qui ont vécu dans une grotte ces dix dernières années, tout le monde se souvient de ces affaires d’algues vertes toxiques qui ont fait la une des JT français à plusieurs reprises. Trois hommes et une quarantaine d’animaux ont péri sur les plages bretonnes dans des circonstances encore non totalement élucidées aujourd’hui, même si tous les soupçons convergent vers un seul et même coupable : l’hydrogène sulfuré (H2S), qui émane des fameuses algues.

Avec cette BD documentaire, Inès Léraud, intriguée par l’omerta qui pesait — et pèse toujours — sur la question, nous livre une analyse édifiante en remontant aux origines du problème, lié à l’agriculture intensive mise en place dans les années 60, avec les premières marées vertes pestilentielles dès la décennie suivante. A cela est venu s’ajouter l’élevage porcin intensif, important générateur de lisier, lequel a vu ses surfaces décuplées dans les années 80, bien souvent de manière illégale. La Bretagne était devenue le pays du cochon industriel, avec d’autres conséquences calamiteuses telles que l’interdiction de boire l’eau du robinet dans de nombreuses communes. A la fin des années 90, l’Etat via l’IFREMER commençait à pointer du doigt le modèle d’agriculture, mais le monde agricole, qui ne l’entendait pas de cette oreille, se lança dans une vaste campagne de décrédibilisation contre l’institut et les écologistes. Lorsque survinrent les premiers décès sur les côtes à la fin des années 2000, on aurait pu croire qu’enfin les responsables allaient faire amende honorable et reconnaître leurs erreurs… Que nenni ! Que du déni nous aurons à la place, et ceux-ci, sentant l’étau se refermer, se montreront d’autant plus agressifs, notamment avec les écologistes, n’hésitant pas à recourir aux intimidations et allant même jusqu’aux menaces de mort.

Pour son enquête, Inés Léraud, journaliste d’investigation pour Mediapart et le Canard enchaîné, s’est donc attelée à élaborer un fil narratif en réunissant de nombreux documents scientifiques, journalistiques, judiciaires, et en enregistrant les témoignages des protagonistes. On apprendra au fil de ses recherches que sous le poison des algues et la loi du silence, se terre un vaste réseau d’intérêts financiers et économiques qui a gangréné le monde politique. Mais que le système se révèle aussi un piège redoutable pour nombre d’éleveurs, d’autant plus lorsqu’ils rêvent d’une reconversion vers des méthodes plus naturelles… Un triste constat, assez prévisible finalement mais tout de même assez sidérant, tant il nous rappelle avec acuité que la santé des citoyens ne pèse guère face aux puissances de l’argent.

Pierre Van Hove a su parfaitement se caler sur les propos du livre avec un dessin très efficace pour illustrer sans s’imposer. Une mise en page et un cadrage pertinent contribuent à rendre fluide et dynamique cette enquête tout de même assez consistante et qui implique pour le lecteur la nécessité de ne pas « lâcher le fil » eu égard aux nombreux intervenants. Tout au long du livre, le dessinateur — d’origine angoumoisine (ça ne s’invente pas) —, fait preuve d’une ironie légère, dans l’esprit du Canard enchaîné, ce qui correspond très bien au propos du livre. Le choix des couleurs, à dominante jaune et verte, renforce l’impression de toxicité, comme si les auteurs avaient voulu nous faire respirer un peu de la puanteur de cette affaire, tant au sens propre (les algues) que figuré (le pognon).

On ne peut donc que saluer le travail salutaire (un travail « salutaire » se « salue », non ?) des auteurs. A noter que l’album est publié conjointement par Delcourt et la Revue dessinée, cette dernière ayant déjà mis en lumière les premières étapes du projet en 2017.

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Les éditions

  • Algues vertes [Texte imprimé], l'histoire interdite une enquête d'Inès Léraud dessinée par Pierre Van Hove mise en couleur par Mathilda
    de Léraud, Inès Van Hove, Pierre (Illustrateur)
    Delcourt
    ISBN : 9782413010364 ; 19,99 € ; 12/06/2019 ; 160 p. ; Broché
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Une BD à mettre dans toutes les mains !

10 étoiles

Critique de CHALOT (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans) - 12 décembre 2023

Je ne suis pas un fan des BD, préférant les livres « classiques » , romans et essais mais là je me suis laissé convaincre et je ne suis pas déçu.
L'histoire, dramatique et réelle- c'est plutôt un récit -est passionnante.
Les auteurs, enquêteur et dessinateur, nous font découvrir ou redécouvrir l'un des scandales sanitaires et écologiques les plus graves, celui relatif aux algues vertes.
Les dessins réalistes et les dialogues clairs nous font suivre et vivre à vive allure le récit de cette « histoire interdite ».
Tout commence par le décès d'un cheval et l'hospitalisation de son cavalier sur une plage bretonne.
Pris dans les algues vertes, le cheval est mort très vite et le cavalier a perdu connaissance.
Ah si un urgentiste sérieux n'avait pas cherché à en savoir un peu plus sur les causes de cet accident, il aurait fallu attendre longtemps avant que la vérité ne soit découverte !
Les algues vertes sont les causes de ce décès d'un animal.
Le médecin est convaincu.... mais il est bien seul, les autorités préfectorales et les puissances agricoles proches de la FNSEA ne veulent rien entendre.
Il n'y a pas de nitrates, le productivisme à tout crin n'est nullement responsable de cette intoxication....
D'autres drames surviendront et l'omerta continuera avec les mêmes et d'autres prêts à faire pression sur ceux d'en bas qui osent l'ouvrir.
Cette BD est un brûlot passionnant.

Jean-François Chalot

Instructif et édifiant

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 29 mars 2021

Inès Léraud a mené pendant plusieurs années une enquête sur les dangers de la prolifération des algues vertes. Elle compile dans cet album ses découvertes, les faits dramatiques qui se sont déroulés depuis les années 70. Et le constat est édifiant. La mort de dizaines de sangliers et marcassins mais aussi de chiens, d’un cheval et surtout de deux hommes reconnus comme victimes après une courageuse insistance ; probablement plus de victimes dont les morts ont été attribuées à des crises cardiaques par méconnaissance du danger... ou par volonté de dissimuler les raisons de ces décès.
Car les causes sont connues. La putréfaction des algues entraîne la production d’hydrogène sulfuré, l’H2S gaz extrêmement toxique.
Pourtant dès les années 70, l’alerte était donnée sur la présence de nitrates dans l’eau entraînant la prolifération d’algues vertes à Saint Michel en Grève.

Mais les intérêts des représentants agricoles, de certains hommes politiques impliqués dans de grands groupes alimentaires muselant 95 % des agriculteurs et producteurs, sont trop puissants.

La démonstration est certes à charge mais on ne peut que se révolter devant le silence, devant le peu d’intervention, admirer le courage de Pierre Philippe, lanceur d’alerte et d’autres qui réussissent à être entendus à défaut d’être écoutés.
Il m’est arrivé de séjourner à Saint Michel en grève ou dans d’autres baies envahies. J’avais été choquée par la réaction de la propriétaire du gîte feignant la surprise quand je lui parlais des odeurs pestilentielles à marée basse, alors même que dans chaque prise électrique était branché un diffuseur de parfum.

Un livre offert, intéressant, édifiant, révoltant, Une Bande Dessinée documentaire, style d’ouvrage que je ne connaissais pas, bien loin des BD esthétiques ou humoristiques. J’ai cependant regretté le choix des illustrations, dessins et couleurs peu agréables.

Une enquête rigoureuse

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 27 février 2021

Il y a des livres-dossiers, il y a des films-dossiers et il y a aussi des BD-dossiers. Celle dont il est question ici me semble, d’ailleurs, être un modèle du genre. Sa conceptrice et scénariste, la journaliste et documentariste Inès Léraud, qui s’est spécialisée dans les dérives de l’agroalimentaire breton, a mené un travail d’enquête rigoureuse de plusieurs années afin de le synthétiser en un récit adapté à la forme d’une bande dessinée dont les dessins furent confiés à Pierre Van Hove. Aborder ce sujet, le faire de manière indépendante, cela ne pouvait pas ne pas déplaire fortement à ceux qui ont intérêt à ce que le scandale des algues vertes reste le plus discret possible, non seulement pour ne pas nuire au tourisme en Bretagne, mais surtout pour ne pas mettre en évidence le rôle néfaste joué par les industriels de l’agroalimentaire. Mettre ce sujet sur la table, c’est s’attirer les foudres de ces gens-là et Inès Léraud, comme tous ceux qui ont bravé les interdits implicitement liés à ce sujet, a eu droit à sa part d’intimidations, ce qui ne l’a pas découragé d’aller jusqu’au bout de son projet.
Le résultat, comme je l’écrivais, est un modèle de rigueur. Divisée en sept parties et un épilogue, la bande dessinée explore tous les aspects du problème causée par l’envahissement des plages bretonnes par les algues vertes. Non seulement les causes directes, mais aussi, de manière plus ample, les causes plus lointaines, celles qui relèvent, par exemple, de l’instauration, après la 2ème guerre mondiale, d’une agriculture « modernisée » et basée exclusivement sur la productivité. Ce système-là n’a pas seulement transformé les paysages de la campagne bretonne, mais il a été terriblement néfaste et pour l’équilibre écologique et, par contre-coup, pour la santé publique. La prolifération des élevages de porcs hors-sol en constitue l’un des aspects les plus redoutables car ce sont les eaux polluées qui sont la cause première des algues vertes.
En Bretagne, plusieurs décès d’animaux, mais aussi d’humains (ramasseur d’algues, joggeur, etc.) ont alerté un certain nombre d’individus qui, très tôt, ont tiré le signal d’alarme. Or, que ce soit de la part des élus ou de celle des préfets ou encore des responsables de la DDASS, le mort d’ordre fut, pendant des années, le déni. Les enquêtes menées après des morts suspectes traînaient systématiquement en longueur et se concluaient par des discours ambigus si ce n’était par des dénis purs et simples.
En fait, ce que montre cette bande dessinée, c’est que la majeure partie des acteurs du monde agricole, en Bretagne, est intégrée à des groupes (dont les administrateurs sont souvent d’anciens élus de la FNSEA) qui organisent la profession de A à Z. Or adhérer à l’un de ces groupes revient à entrer, à son corps défendant, dans un système d’esclavage où rien n’est négociable. Et ne comptons pas sur les élus pour que cela change, beaucoup d’entre eux ayant partie liée avec ces groupes. Quant à ceux qui, dans la profession, osent se rebeller, ils sont aussitôt victimes de représailles. Néanmoins, les rares agriculteurs qui parviennent à quitter ce système, au bout du compte, s’en sortent mieux qu’avant.
Je ne peux évidemment pas reprendre ici tous les éléments de l’enquête menée par Inès Léraud, mais, on le comprend, à partir du problème crucial des algues vertes, c’est tout un système de productivité qui est mis en cause. Aujourd’hui, les algues n’ont pas disparu du paysage. On en voit peut-être moins parce que, sur beaucoup de plages, elles sont ramassées dès leur échouement, mais il reste des lieux difficiles d’accès où elles continuent de s’accumuler et peuvent toujours provoquer des décès. C’est ce qui s’est passé, par exemple, le 8 septembre 2016, dans l’estuaire du Gouessant (Côtes-d’Armor). À noter qu’il fallut procéder, par la suite, à une exhumation du corps pour analyses et que le diacre, en charge des obsèques, fut pris à partie pour n’avoir pas empêché cette « profanation » !
Le constat dressé par cette bande dessinée n’épargne pas, pour de bonnes raisons, non seulement toute la filière de l’agroalimentaire mise en place en Bretagne, mais aussi tous ceux (des hommes politiques, par exemple, y compris Nicolas Sarkozy) qui s’en sont rendus complices, d’une manière ou d’une autre. Changer les mentalités, ce n’est pas chose aisée, mais, fort heureusement, Inès Léraud nous rappelle aussi que, en Bretagne, « de nombreuses initiatives citoyennes éclosent pour favoriser une agriculture plus respectueuse de l’environnement. » Souvenons-nous en lorsque nous irons passer nos vacances sur le littoral breton !

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