Ne vous ABC jamais de Jean-Claude Martin

Ne vous ABC jamais de Jean-Claude Martin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 13 mars 2020 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 665ème position).
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Un abédcédaire pour rire

Comme un encyclopédiste Jean-Claude Martin a rassemblé le savoir sous forme d’un abécédaire. Pour chaque lettre, il a écrit une sorte de présentation, mettant en valeur tous les qualités et défauts qu’il lui semble bon de prêter à chacune d’elles. Pour l’exemple, j’ai pris au hasard la présentation de la lettre « P », voici donc comme il la définit :

« Doit-on lâcher P et l’abandonner en rase campagne, pour qu’il n’incommode plus personne ? Ce serait lâche, et on y perdrait aussi paix et paie. Entre paillasse et purin, il y a des P qui méritent qu’on les entende, qu’on les sente, qu’on les fête, qu’on les honore ! Oublions donc pétoire, pétaudière, et le triste maréchal Pétrin, pour laisser P s’envoler comme un papillon au paradis des passiflores, pénard comme un pélican, pétillant tel Dom Pérignon, poétique et pyramide, pénétrant … »

Jean-Claude Martin a beaucoup d’humour mais aussi un brin d’impertinence, il joue avec virtuosité du jeu de mots, du calembour, de l‘allusion, de l’assonance, de l’allitération. Il sait débusquer la moindre faille dans le langage, dans son utilisation, pour introduire un double sens, un contre sens, une incongruité, un paradoxe, une inconvenance, un fou rire, …, et même parfois un éclat de rire. Mais Il ne limite pas son chant à la rigolade, il déverse aussi dans ses définitions son immense culture et son grand savoir et beaucoup de poésie.

Il mobilise toutes sa riche culture et tout son talent poétique pour définir les mots qu’il associe à chacune des lettres, les mots le plus couramment usités ou au contraire des mots presque disparus comme « frusquin » qui ne sort plus sans son saint. Pour vous montrer un exemple, j’ai choisi un mot bien courant, utilisé à plusieurs fins : « gorge », en voici sa définition selon Jean-Claude Martin :

« Gorge, hélas, attire tout, « dans » et « sous » : un chat, le cœur, un couteau, un pistolet… On la prend, on la serre, on l’échaude, on lui fait rentrer des mots dont elle n’a pas besoin, on la fait rendre… Heureusement on inventa… soutien-gorge. Elle put alors se déployer, rire et exposer aux yeux du monde sa beauté. Certains décolletés sont de véritables sopranos. « Gorgeous » disent les Anglais. A déguster par longues, lentes et tendres gorgées. Gorge est sauvée… »

Lire cet abécédaire, c’est non seulement mesurer toute l’étendue des capacités de notre langue, c’est aussi constater comment son usage la fait évoluer et la rend vivante, de plus en plus vivante. Merci Jean-Claude de nous avoir prêté, le temps de cette lecture, une part de ton immense érudition.

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le champion du texte court

9 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 20 mai 2020

Jean-Claude Martin est un as du "poème" en prose bref (qui méritent souvent 5 étoiles), où il use de toutes les ressources d'une langue tenue, serrée, juste, depuis plus de trente ans, avec un bonheur qui ne s'est jamais démenti.
Ici, il tente un abécédaire : au fil de l'alphabet, il met sur son gril chaque lettre, l'une après l'autre de A ("alpha" de toutes choses") jusqu'à W,X,Y,Z, regroupées ensemble (car "ont-elles l'air de chez nous ? Ne paraissent-elles pas venir de l'étranger ?") et expédiées sans ménagement.
Mais pour les vingt-deux premières, après avoir détaillé avec humour ce que chacune lui dit, il a sélectionné un certain nombre de mots commençant par la dite lettre, et délivre avec brio ce à quoi chacun des mots choisis lui fait penser. là, son intelligence, sa grande culture font merveille, en des textes de dix à quinze lignes. On ne comprend pas toujours les allusions déployées, peu importe, on enfile les perles, les jeux de mots ("Mieux vaut s'adresser à ses seins qu'au bon Dieu"), les calembours, les proverbes, les usages de chacun des dits-mots.
Chemin faisant, il joue non seulement avec le langage, mais aussi avec ses diverses obsessions, déjà très présentes dans ses précédents recueils de poèmes : la mort, les femmes, le fait d'être "petit" (en taille), Dieu et la religion, l'argent et la richesse.

Extraits :

COMPTE : "...compte donne à vomir. Compte fait penser aux banquiers, aux capitalistes, à tous les véritables criminels d'aujourd'hui..."
FAUTE : "«La faute originelle». Ça ma plaît bien que les êtres humains puissent être déclarés coupables de leur naissance : ils sont autrement tellement pourris de vanité et d'arrivisme !"
PAROLE : "On serait parfois tenté de privilégier l'air sur les paroles, mais il faut être aussi doué que le doux (?) Paul* pour écrire des «Romances sans paroles». [...] *celui qui, vers l'aine, trouva le rein beau !"
POÉSIE : "À fuir. Comme auteur et comme lecteur. Poésie est morte, tuée par la rentabilité littéraire, bouffée par les chercheurs débiles et les professeurs gloseurs. [...] arrêtons les mensonges, les cataplasmes et les fausses mystiques, poésie est dans une impasse, un naufrage, sa mort préfigure le triomphe de l'argent et de la pollution sur terre."
RICHE : "hommes d'affaires et gens d'argent sont aujourd'hui les seuls maîtres à penser considérés. Riche idée que j'ai eue là de vouloir les égratigner. S'en fichent, de mon texte, pas «bankable».pour un sou."

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