Journal des lisières de Alhama Garcia
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie
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La critique de Patryck Froissart
Cet ouvrage original d’Alhama Garcia est l’occasion d’une triple découverte : celle d’un poète inspiré, celle d’un genre rarement pratiqué de façon globale en francophonie, et celle d’une maison d’édition, Unicité, qui a le mérite de publier de la poésie, acte méritoire hélas peu, insuffisamment, voire aucunement pratiqué par les grandes maisons d’édition.
L’art exclusivement pratiqué dans ce recueil est celui du tanka, art poétique dont nous avons présenté les règles dans la chronique de cet autre ouvrage du même auteur, publiée également dans la Cause Littéraire : Telluries.
Rappel :
Le tanka est une forme poétique lyrique japonaise classique de 31 syllabes sur un poème constitué d’un tercet et d’un diptyque, avec alternance 5-7-5 7-7.
Le tanka est donc construit en deux parties, la seconde venant conforter la première. Un tanka soucieux du respect des règles originelles doit marquer une légère pause entre les deux et ne traiter que d’un seul sujet à la fois. Il peut questionner mais ne donne aucune réponse. Le tanka est basé sur l’observation, non sur la réflexion. Il doit être un ressenti sincère et vécu, non imaginé. La première partie est traditionnellement un tercet de 17 syllabes de structure 5-7-5 (devenu plus tard haïku), et la deuxième un distique de 14 syllabes de structure 7-7. Il arrive cependant que la première partie soit le distique et la deuxième le tercet.
La première montre une image naturelle, tandis que la seconde peut éventuellement exprimer des sentiments humains ressentis, liés au sujet précédent, sans que cela soit une règle absolue. La pratique du tanka était réservée à la Cour impériale, et toute personne de rang inférieur surprise en train de pratiquer le tanka était condamnée à mort. Cela explique le succès populaire du haïku, beaucoup moins strict.
Spécialiste reconnu dans l’art du tanka, Alhama Garcia en regroupe ici exactement 364, soit un nombre équivalent quasiment à celui des jours d’une année, d’où le titre ‘’Journal’’, répartis en 52 suites (pour les 52 semaines de l’année) qu’il a lui-même, morceau après morceau, initialement publiées pour une grande part dans les pages de notre magazine.
Chaque suite est constituée de 7 tanka.
On saisit la récurrence du nombre 7 à tous les niveaux de la composition, reflet de l’importance que la culture japonaise (comme de nombreuses autres) accorde à ce nombre.
La « suite de tanka » est en soi une figure poétique globale, que définit Alhama Garcia dans l’introduction :
« La suite de tanka, à la recherche d’un sentiment de cohésion perdue. La suite de tanka diffère du tanka-en-chaîne par son mode d’écriture strictement solitaire, dans la tradition poétique occidentale. […] Le premier tanka lance le thème […]. Dans les tanka suivants, on retrouve en continuité le même fil rouge, la même recherche de la variation exploratrice d’un espace unifié. »
Par exemple, à partir de la réminiscence fugitive, chez le poète, des lis en fleur dans le haut jardin, les sept tanka constituant Le guetteur dans les bois forment un tout poético-philosophique dans lequel les saisons qui transforment les arbres du jardin se confondent avec les âges de la vie sur laquelle plane l’ombre de la mort.
ah ! sa beauté fane
sans désespoir sans révolte
dira-t-il comment
me fondre calme et paisible
dans le silence de l’arbre ?
Dans Tumulte entre les feuilles le mouvement, né de l’odeur d’une pensée au fond d’un Gaffiot emporte le poète dans une rêverie intertextuelle entrecroisant Baudelaire, les arbres en fleur dans le jardin (image récurrente), une évocation du scribe assis, et la visiteuse complice d’une lecture d’Ovide. Jolies métamorphoses…
On retrouve ce jeu subtil de la polysémie de la feuille dans Vos écritures sont versatiles.
La présence récurrente des éléments de la nature (fleurs, arbres, fruits, jardins) peut faire place ponctuellement à des représentations rêveuses de scènes amoureuses en espace clos, comme dans cette suite au titre provocateur : J’ai l’art de dénouer le haut, mais le plus souvent les murs s’effacent et le décor des duos intimes se fait bucolique.
La lisière (évoquée par le titre) entre le cadre végétal d’une part et le milieu matériel créé par l’homme d’autre part est toujours floue, tremblante, évanescente, prompte à s’effacer au profit du premier…
Ainsi, dans Elégie des apparences :
l’odeur des chatons
je ne veux pas en parler
ni de nos nuits blanches
fenêtre ouverte aux étoiles
sous les fleurs des châtaigniers
Des chatons, l’auteur passe, dans une autre suite, à un portrait de sa chatte revenue : correspondance baudelairienne ou souvenir de la Pomponnette de Pagnol ?
Fifille est rentrée
aux grands yeux et taille fine
je l’ai reconnue
elle a sa manière à elle
de se frotter aux chevilles
Arbres, fleurs, chat, forêt, lune, jardin, bruyère, buis, nuit, étoiles, nuage, soleil, givre, averses, lézard, sauterelle, amours, amante… sont les éléments indéfiniment itératifs, redondants, avec lesquels l’auteur brosse d’un pinceau léger scènes et tableaux impressionnistes, délicats, toujours sensuellement, ou plutôt ‘’sensitivement’’ différents, dans lesquels il inscrit indissociablement son être, sa nature, ses sens, sa pensée.
A petits traits, cela se goûte et se savoure.
Les éditions
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Journal des lisières [Texte imprimé], 52 suites de tanka Alhama Garcia
de Garcia, Alhama
Unicité
ISBN : 9782373550801 ; EUR 15,00 ; 12/10/2016 ; 120 p. ; Broché
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