Annemarie Schwarzenbach ou Le mal d'Europe de Dominique-Laure Miermont-Grente

Annemarie Schwarzenbach ou Le mal d'Europe de Dominique-Laure Miermont-Grente

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Sahkti, le 7 juillet 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 268ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 4 851  (depuis Novembre 2007)

Tout Annemarie

Dominique Laure Miermont est la traductrice attitrée de Annemarie Schwarzenbach pour Payot. On lui doit déjà "Orient exils", "La mort en Perse", "Où est la Terre des Promesses ?" ou "Loin de New York".
Elle connaît bien l’œuvre d’Annemarie Schwarzenbach et s’était déjà lancée dans le projet d’une biographie de l’auteur en collaboration avec Nicole Müller. Elle y revient, seule cette fois, grâce à un important fonds comprenant de nombreux inédits déposés aux Archives littéraires suisses à Berne.

Pourquoi ce "Mal d’Europe" dans le titre ? Ces mots sont extraits d’une lettre datée de 1933 de Catherine Pozzi, poétesse, adressée à son fils Claude Bourlet, soupirant à l’époque d’Annemarie Schwarzenbach.
"On a auprès d'elle un sentiment d'instabilité curieux. Elle vous donne le mal d'Europe."
Je trouve ce sous-titre bien choisi, subtil reflet d’une personnalité aux prises avec des conflits familiaux dont certains ont des origines familiales. Annemarie Scharzenbach est issue d’une riche famille bourgeoise zurichoise favorable au nazisme et militariste. Des valeurs conspuées par l’auteur suisse qui montera aux barricades, critiquera le national-socialisme et la fameuse neutralité suisse si pervertie. Elle voyagera un peu partout dans le monde pour revendiquer ses prises de position et dénoncer ce qui se passe dans son propre pays. Sa famille se brouillera définitivement avec elle, appuyée dans sa rancoeur, outre les prises de positions virulentes d’Annemarie, par son goût pour les femmes, les drogues et ses liaisons masculines.
On a trop souvent tendance à brandir l’argument de la drogue comme unique cause de la destruction progressive d’Annemarie Schwarzenbach en oubliant ou masquant l’importance que ces conflits parentaux ont eu et leurs répercussions douloureuses. Par deux fois, Annemarie tentera de se suicider à cause de ces bagarres et de l’autorité dictatoriale maternelle (une phrase résume très bien Renée Schwarzenbach "souvent injuste dans l'amour comme dans la haine", qui détruira le journal intime et la correspondance de sa fille lorsque celle-ci mourra).

Est-ce cette emprise maternelle violente qui influencera à ce point le caractère d’Annemarie Schwarzenbach, elle aussi femme de forte tête qui exercera un étrange ascendant sur toutes les personnes qu’elle croisera pendant sa trop courte vie. Ce phénomène frappant est mis en avant par Dominique Laure Miermont grâce aux nombreux témoignages qu’elle a recueillis et analysés, chez Marianne Breslauer (photographe), Claude Carac (le mari d’Annemarie), Carson McCullers ou Margot von Oppel (qui parle avec beaucoup de douceur des déchirements de son amie Annemarie "si on peut l'aimer infiniment, on ne peut pas vivre avec Annemarie comme compagne").
DL Miermont n’oublie pas l’œuvre d’Annemarie Schwarzenbach dans sa biographie, elle la maîtrise plutôt bien, elle peut mettre en parallèle la vie de l’auteur et le contenu de ses textes. C’est passionnant et intéressant, un très beau portrait !

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Un gâchis

9 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 11 décembre 2013

Et bien je crois que tout est dit dans le commentaire de Sahkti!
C'est une biographie passionnante d'un personnage qui l'est aussi. En elle-même, mais aussi par ce qu'elle représente inscrite dans son époque.
Comme l'écrit Klaus Mann dans Le tournant:

Toute vie humaine est à la fois unique et représentative; dans chaque destin individuel, dans chaque drame personnel se reflète et se module le drame d'une génération , d'une classe, d'un peuple et d'une époque.

En ce qui concerne la biographie elle-même, elle est très complète , et, effectivement, y insérer certains extraits de textes écrits par Annemarie Schwarzenbach permet d'encore mieux la découvrir, et donne envie de la lire.

Le personnage lui même.. c'est le propre d'une biographie de raconter et de ne pas expliquer, ni interpréter. . J'ai complété par la vision d'un documentaire qui m'a semblé apporter quelques éléments supplémentaires.
On la décrit comme étant en rupture avec les images dominantes de l'identité suisse de l'époque, rebelle très engagée contre l'inertie des autorités suisses .
Oui, bien sûr..
Elle est en tout cas d'une lucidité extrême et d'une intelligence remarquable. Douée pour tout, magnifique, et on se dit pourquoi ce gâchis, car sa vie est un gâchis intégral.
Sans doute parce que tous ces talents ne sont pas suffisants pour résister à l'emprise de la tradition familiale. Et qu'elle n'arrivera jamais à se situer, continuellement en recherche de ce qui lui manque quelque part, toujours en demande, et des demandes tellement fortes que personne ne peut y répondre.

Il faudrait choisir ses ennemis comme ses buts, en fonction des forces dont on dispose.

Et oui, et quelle force mentale il faut pour résister , se couper complètement de son identité première. Elle ne l'avait pas, visiblement , et était elle-même son propre drame.

Elle a été en tout cas très mal traitée par sa famille ( vers laquelle elle se retournait en permanence.. là était son problème comme lui avait longuement expliqué Ella Maillart dans le courrier échangé) et il y a dans cette biographie une lettre de son frère qui fait frémir. Calculant le prix à payer , prix demandé par une institution psychiatrique américaine pour lui permettre d'éventuellement rebondir , et concluant qu'Annemarie ne valait pas ce prix..

En forum, le documentaire.

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