Mayacumbra de Alain Cadéo

Mayacumbra de Alain Cadéo

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Nathavh, le 11 novembre 2019 (Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans)
La note : 8 étoiles
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Un conte initiatique

Retrouver la plume d'Alain Cadéo est toujours un cadeau, cet orfèvre des mots, magicien de la langue se mérite. Il nous propose ici un grand voyage, celui de Théo qui a tout quitté, sa famille, es habitudes pour errer sur la route et enfin se poser ici à Mayacumbra il y a trois ans.

Mayacumbra, un village insitué entouré de forêts, de brume au pied d'un grand volcan assoupi, La Corne de Dieu. Quelques habitations de fortune que je visualise en bidonvilles d'Amérique du Sud autour du Kokinos, genre de grande épicerie générale, là où l'on se retrouve pour boire un verre, manger un morceau, là où on peut louer une chambre, chez Cyrus et la mère Talloche.

Un village triste, où la boue, la gange , les nuages bas, brumes et brouillard sont légion. Mayacumbra c'est un hameau loin de tout à la fin de pistes difficiles où l'homme vient se cacher, se terrer, se perdre.

Cadéo nous dépeint une sacrée galerie de personnages. Chaque habitant du village vivant là a emmené avec lui ses secrets, cherchant sans doute à se faire oublier du monde. Il y a Raymond Sovignac, un drôle de curé, Giacomino, l'errant à la valise jaune, Solstice le garagiste, trafiquant à ses heures et ami de Théo, Rolombus le Manouche, le vieux Biribine, Arnosen le flic un peu dérangé obsédé par les oiseaux, Moreno et surtout Lita. Lita mariée trop jeune à Moreno, un mélange du peuple des bois vivant au village, l'amoureuse de Théo, une de ses raisons de vivre.

Théo, lui, il a choisi le volcan, la Corne de Dieu , cet endroit que tout le monde craint au village, sauf Lita qui l'y rejoint de temps à autre en secret. C'est qu'après la source et le chemin tortueux, tout en haut du volcan, Théo a trouvé son hâvre de paix.

Il y a construit une cabane et y vit avec son compagnon, son âne Ferdinand. Ensemble ils affrontent le Capitan, les éléments.

Là, loin du monde, il se sent fort, c'est le volcan qui lui donne sa force. Sa raison d'être c'est Lita mais aussi les mots, les livres et l'écriture vitale pour lui. Au village on le surnomme Loco, le fou mais peu importe car c'est ici qu'il s'est trouvé.

C'est dans un monde onirique que nous conduit la plume de Cadéo, un conte initiatique, philosophique, poétique. La quête de Théo est la recherche de lui-même, sa solitude, sa vie en partie d'ermite lui donne la paix, sa raison d'être. Il puise son énergie dans le volcan, dans la nature et la beauté des lieux.

Cet équilibre tient à peu de choses et tout basculera peu à peu lorsque son ami Solstice viendra se cacher deux jours près de lui et lui annoncer l'arrivée d'un étranger , un muet au village. Le mal n'est jamais très loin, un changement progressif se met alors en marche, le volcan aussi donnera des signes.

Cadéo manie la langue avec beaucoup d'adresse, la beauté des mots, l'accord des sons, procurent un tourbillon d'émotions. Il crée des expressions, joue avec la langue. C'est beau. Le chemin de la vie est parfois tortueux, l'auteur dépeint à merveille la nature, la beauté de celle-ci mais aussi l'âme humaine. Il faut cependant prendre garde de ne pas réveiller le volcan qui sommeille en chacun de nous.

Un roman à déguster, prendre le temps de se laisser porter et de laisser retomber les mots au plus profond de soi.


Les jolies phrases

Le plus pénible est d'être un nénuphar, car, aussi beau et éclatant soit-il, il est fermement tenu dans la boue par ses racines. Il donne l'impression de voguer comme une île, alors qu'il fait des ronds dans l'eau. La soi-disant "liberté" est, quoi que l'on fasse, où que l'on aille, toujours soumis à un mouvement pendulaire relié à un cordon ombilical plus ou moins long. Et même celui qui s'affranchit par la distance de son point de naissance, ne fait que tournoyer autour de son nombril.

Quel est le con qui pourrait dire que les mots ne sont rien ?

Le grand désir a cela de parfait : il ouvre l'infini. Et rien n'est comparable à ce saut dans le vide.

Tout ce que je sais, c'est que nos vies, où qu'elles soient, sont faites de détails et qu'on y tient à ces détails. Après, il y a les grands événements, les joies, les secousses, les drames. Mais ce qui nous sert de condiments, qui refait toujours surface, de sont ces battements de cils, des riens qui sont nos habitudes, nos rites, dont on aime parfois jusqu'au goût un peu rance, un peu éventé, mais qui ont la saveur des choses familières.

L'homme qui a faim de compagnie n'est plus en mesure de juger. Il suit, il assiste, justifie, va même essayer de comprendre ce qui anime les faits et gestes du souffrant, du tordu, du malade. Pire, il devient l'autre.

Il n'y a guère que le poisson rouge, idiot ou triste philosophe, pour ne jamais quitter la bulle qui lui sert d'océan. L'idiot tourne en rond et s'imagine qu'il est au coeur du monde. Le philosophe lui aussi tourne en rond, mais lui, prétentieux, il s'imagine qu'il maîtrise le Monde.

La pensée est une incorrigible errante, une sublime vagabonde. C'est plus fort qu'elle, il faut toujours qu'elle se barre dans tous les sens. Je m'étais pourtant juré de la dompter. Rien à faire, cette bohémienne n'en fait qu'à sa tête.

Mais au fond, toute vie n'est-elle pas un entassement d'images, un trésor que nous feuilletons mentalement, avec l'idée toujours tenace que l'une d'entre elles, qui nous échappe en permanence, contient toutes les autres par sa perfection?

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