Sur la route du Danube de Emmanuel Ruben
Catégorie(s) : Littérature => Voyages et aventures
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De la mer Noire à la forêt Noire
Le Danube plonge au cœur de l’Europe et a toujours constitué une frontière naturelle depuis l’Antiquité. Une de ses particularités : le kilomètre zéro part de son embouchure et non de sa source. Embouchure mouvante puisqu’au milieu d’un delta et source incertaine selon les revendications de chacun. Un fleuve à l'identité en mouvement.
En le parcourant à vélo d’Est en Ouest, Emmanuel Ruben rappelle notre lien avec l’Orient et ses européens oubliés. Il a décidé de remonter le cours du fleuve comme on remonte celui de l’histoire. Car la géographie d’un lieu n’est jamais complètement déconnectée de son histoire. De l’Ukraine à la France l’auteur traverse l’Europe centrale et les Balkans, longe les limes de l’Empire romain et la ligne de front des Chrétiens face aux Ottomans, côtoie ces peuples déchirés par la seconde guerre mondiale et le démantèlement de la Yougoslavie, met en relief les enjeux du présent. Les petites histoires se mêlent à la grande. Les rencontres se succèdent, souvent fugaces et les paysages défilent au gré des saisons et des reliefs.
J’ai rarement autant eu cette impression de voyager que dans ce roman. L’auteur y révèle un constat amer, une vision de l’Europe vieillissante, sans illusion. Non pas une Europe de la solidarité mais celle des frontières et de la consommation. L’Europe de Bruxelles ne trouve guère grâce à ses yeux face aux crises politiques et migratoires actuelles.
Ce voyage au rythme du pédalier permet de se plonger dans cette Europe méconnue dont l’histoire, la culture et les valeurs ne devraient pas nous être étrangères.
Les éditions
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Sur la route du Danube
de Ruben, Emmanuel
Payot & Rivages
ISBN : 9782743646486 ; EUR 23,00 ; 06/03/2019 ; 608 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (1)
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A la force des mollets
Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 24 janvier 2022
Le récit d’Emmanuel Ruben se divise en trois parties : « Balkaniques » donc et « Germaniques » pour terminer, avec, entre les deux, celle que l’auteur appelle « Périphériques » qui raconte, en somme, la genèse du projet, un projet né de la rencontre avec Vlad, un Ukrainien passionné d’histoire ancienne, personnage singulier qui devient le compagnon de route de l’auteur. Car, il faut maintenant le préciser, c’est l’une des grandes particularités du livre, c’est à vélo que les deux hommes ont parcouru, d’Odessa à Strasbourg, en deux fois cependant, les 4000 kilomètres séparant Odessa de Strasbourg.
Ce n’est d’ailleurs pas tant l’aspect « exploit sportif » de ce mode de locomotion qui compte que l’originalité du regard qu’il induit. Voyager à vélo, c’est se mettre au plus près du fleuve et de son environnement géographique, mais surtout de ses habitants. C’est prendre la mesure des innombrables diversités culturelles, politiques et linguistiques des pays et des territoires baignés par le fleuve. En le suivant à contre-courant, mais dans le sens des migrations, si nombreuses au cours des siècles, les deux voyageurs se pénètrent de l’histoire complexe d’une Europe marquée par ses peurs, ses conflits, ses replis identitaires. S’ils font régulièrement l’expérience de la bienveillance des habitants des différents pays traversés, de leur sens de l’accueil, les deux cyclistes n’ignorent rien des sombres soubresauts qui ont ensanglanté terres et fleuve. Le propos de l’auteur se teinte volontiers d’accents politiques, y compris en déplorant ce qu’il appelle la « suissification » de l’Europe, celle qu’impose Bruxelles, sans tenir compte des singularités des peuples.
Géographie, politique, mais aussi littérature sont convoquées au fil des pages. Car nombreux sont les écrivains et les artistes qui ont enrichi de leur regard l’un ou l’autre des territoires baignés par le Danube : Panaït Istrati, George Steiner, Danilo Kiš, Ferenc Karinthy, Imre Kertész, Robert Musil et bien d’autres. Mais n’ayons crainte, le livre n’est nullement réservé aux initiés, il est accessible à tous puisqu’il prend pour centre d’intérêt l’humain, pas seulement de façon générale mais dans la rencontre. Avec, c’est vrai, la volonté, clairement exprimée, et c’est tant mieux, de changer nos regards ou nos idées toutes faites. Ainsi, à propos de la chasse aux migrants à laquelle on se livre dans certains pays comme la Hongrie : « … nous avons beau jeu, écrit Emmanuel Ruben, d’accuser ces gouvernements de trahir l’Europe des Lumières et des droits de l’homme en menant la chasse au migrant : en fait, nous continuons à nous servir d’eux comme des concierges de la forteresse. Viktor Orbán est l’idiot utile qui permet à nos tartuffes de passer pour des philanthropes. C’est lui, aujourd’hui, le concierge de l’Europe. Il fait le sale boulot dont nous avons besoin, dans notre lâcheté, pour croire encore au mythe de l’hospitalité. Et c’est notre lâcheté qui continue de tuer aujourd’hui ces hommes, ces femmes et ces enfants tentant de traverser la Méditerranée, notre grand cimetière marin, pour fuir la guerre et la misère. »
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