L'amas ardent de Yamen Manai

L'amas ardent de Yamen Manai

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Arabe

Critiqué par Cyclo, le 17 juillet 2019 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 4 735 

les frelons sont parmi nous !

Le héros de ce roman réjouissant, un apiculteur connu sous le nom de "le Don" dans le village de Nawa, au fin fond de la Tunisie, découvre une de ses ruches décimée. Ses "filles", ses abeilles sont mortes, déchiquetées. Après enquête, il comprend que ce sont des frelons inconnus jusqu'ici, qui ont attaqué sa ruche. Ils sont arrivés dans des caisses importées, que le parti de Dieu a distribuées à la population illettrée en échange d'un bulletin de vote lors des premières élections libres. Le petit peuple de paysans des campagnes, particulièrement misérable, oublié des politiques, empêtré dans ses traditions, s’est vu investi par les nouveaux "fous de Dieu" dont les prêches incendiaires appelant à la guerre sainte trouvent un écho parmi les plus fragiles.

D’abord, ce titre bizarre : il s’agit de la méthode de défense mise au point par les abeilles japonaises pour se défendre des attaques des frelons asiatiques. C’est une métaphore pour l’auteur tunisien : quel moyen de défense la population pourra-t-elle mettre au point contre les religieux fondamentalistes qui prolifèrent dans le pays depuis la "révolution" du printemps arabe ? Le mal venu d’ailleurs n’est pas uniquement le frelon asiatique contre lequel les abeilles locales sont sans défense, mais aussi bien l’obscurantisme des imposteurs religieux (sortes de frelons humains) qui s’emparent facilement d’âmes sans défense. Ainsi Toumi, un des jeunes du village, qui avait disparu pendant trois mois, réapparaît en fanatique sanguinaire.

La métaphore écologico-politique est bien intégrée dans un récit linéaire (mais avec un retour en arrière sur un épisode de la vie de Don quand il était parti en Arabie saoudite exercer son métier d’apiculteur) mais non dénué de subtilité ni d’ironie, et très efficace. Les personnages sont attachants, et on n’oubliera pas le voyage au Japon des amis de Don pour rapporter une reine des abeilles japonaises ni les efforts du héros, parti avec son âne pour dénicher le nid de frelons dans la montagne. Une réussite tunisienne qui se lit d’une traite.

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Frelons et fanatiques!

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 20 août 2019

Parmi toutes les espèces vivantes, les insectes constituent un élément essentiel des écosystèmes. Or, en février dernier, une étude révélait un déclin sans précédent de près de la moitié des espèces d’insectes. Parmi ceux-ci, la plus emblématique reste certainement l’abeille. Or, on le sait, la menace qui pèse sur elle est telle qu’elle pourrait disparaître de certaines régions du monde. Il faut d’ailleurs parler d’un triple danger : celui qui provient des pesticides largement répandus sur les cultures, celui qui émane du varroa, un acarien qui s’introduit dans les ruches pour parasiter les abeilles, et, enfin, celui qui se manifeste sous la forme d’un redoutable prédateur, le frelon asiatique.
Ces trois instigateurs de la disparition progressive des hyménoptères sont présents dans le roman de l’écrivain d’origine tunisienne Yamen Manai et, en particulier, le troisième d’entre eux. A Nawa, dans l’arrière-pays tunisien, il se trouve un apiculteur que l’on appelle le Don, un homme âgé, à qui les abeilles sont si précieuses qu’il les nomme ses « filles ». Or le romancier raconte comment, un jour, cet homme constate que, dans une de ses ruches, une colonie entière d’abeilles a été massacrée. Malgré son grand âge, lui qui se soucie du bien-être de ses « filles » plus que de tout au monde décide de mener son enquête.
Le coupable, on l’a compris, n’est autre qu’un monstrueux insecte, le frelon asiatique, jusqu’alors inconnu dans cette région reculée de Tunisie. Comment donc le prédateur est-il parvenu jusqu’à cet endroit ? Et y a-t-il un moyen sinon d’en venir à bout, en tout cas de protéger les précieuses abeilles ? Très informé, très instructif, le roman de Yamen Marai, par le biais d’un conte très enraciné dans les réalités de notre temps, répond de façon judicieuse à ces questions.
Le Don n’est pas tout seul dans sa quête. Fort heureusement, il trouve le soutien le plus efficace non seulement en Tunisie, mais également au pays du soleil levant. Car, c’est là-bas, en Asie, plus précisément au Japon, là d’où provient le redoutable frelon, que se trouve également le moyen de le contrecarrer. Pour ce faire, il faut traverser bien des obstacles et affronter des épreuves. Car les frelons ne sont pas seuls à mettre des bâtons dans les roues du Don. Il y a une autre sorte de prédateurs qui se répand insidieusement et hypocritement en Tunisie, en commençant par se présenter en bienfaiteurs avant de dévoiler un tout autre visage, beaucoup moins avenant. Ce sont les fanatiques de Dieu, les sectateurs d’Allah ! « Mais en quel Dieu croient-ils ? », se demande opportunément l’apiculteur. Le roman de Yamen Manai, en tout cas, ne leur fait pas de cadeau et c’est tant mieux !

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