La famille dispersée de Pearl Buck

La famille dispersée de Pearl Buck
(A house divided)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Myrco, le 25 août 2019 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 719ème position).
Visites : 3 444 

"Entre deux civilisations"

Ce volet par lequel s'achève "La trilogie de la terre chinoise" peut se définir comme celui de la confrontation, d'abord entre un père et un fils, mais beaucoup plus largement entre deux civilisations. De cette dernière sortira une société chinoise transformée, désormais siège de tendances contraires, l'une tendant à perpétuer certaines traditions et valeurs de la Chine ancienne, l'autre tournée vers la modernité via l'ouverture à l'occidentalisation. On retrouvera bien sûr cette mutation au sein même de la famille Wang, faisant voler en éclats le schéma de la grande famille traditionnelle, créant un fossé entre les générations, orientant différemment le destin des uns et des autres selon leur niveau d'intégration de ce bouleversement pour offrir désormais l'image d'une famille divisée plus encore que dispersée (le titre original est d'ailleurs "A house divided").

Ce troisième opus s'attache plus particulièrement aux pas de Yuan, ce fils sur lequel Wang le Tigre, parvenu au faîte de son ascension mais blessé dans ses sentiments amoureux, avait reporté tout son potentiel affectif, rêvant de lui transmettre le flambeau et de donner ainsi une finalité à l'œuvre de sa vie.
Instruit dès l'enfance dans l'art de la guerre, en totale opposition avec sa nature profonde pacifiste et amoureuse de la nature (comme son grand-père), Yuan est envoyé parfaire son éducation dans une école de guerre du sud. Mais dans ce sud, l'idée d'une révolution fait son chemin, qui voudrait mettre à bas tant le pouvoir des seigneurs de guerre que les vieilles coutumes qui entravent la liberté de la jeunesse. En révolte contre son père, Yuan va découvrir un monde jusqu'ici inconnu: celui des grandes villes de la côte sud désormais engagées dans la modernité, ouvertes aux technologies nouvelles, et où la jeunesse s'approprie la liberté des mœurs occidentales. Plus tard, contraint par les évènements, il devra faire l'expérience de l'exil plusieurs années aux Etats-Unis avant de retourner au pays et trouver sa propre voie.


Contrairement aux opus précédents, celui-ci se déroule sur une période restreinte: les années de la vingtaine du jeune homme qui doivent correspondre grosso modo aux années 20. Il pourrait donc s'apparenter à un roman d'apprentissage nous donnant à suivre un jeune homme perpétuellement tiraillé, voire écartelé entre pressions, sentiments et aspirations contraires: amour et détestation pour son père, compassion et répulsion pour son peuple, désirs sexuels et rejet de mœurs qu'il considère comme vulgaires et licencieuses...Sollicité un temps par la révolution, sa vision nuancée et souvent contradictoire des réalités le rendra "(in)apte à servir aucune cause, quelque grande fût-elle".

L'analyse très fine que réalise Pearl Buck de ces atermoiements donne à ce volet une dimension plus psychologique, qui s'écarte peut-être de l'influence du roman chinois mais induit aussi en corollaire l'impression d'une structure moins linéaire et donc moins épurée que dans les opus précédents, même si elle respecte toujours la chronologie.

Mais bien au-delà du roman d'apprentissage, au travers des conflits et contradictions intérieurs de Yuan, se reflètent les vents contraires qui agitent alors la Chine: un effet miroir que l'auteure a su ici remarquablement exploiter à mon sens.

Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié cette vision équilibrée des deux cultures qu'elle nous donne. Si elle ne valorise aucune par rapport à l'autre, elle ne manque pas parfois de relativiser la prétendue supériorité (à l'époque) de la civilisation américaine notamment (voir le regard porté sur la prégnance de la religion considérée comme superstition au même titre que ce à quoi croyaient en Chine les femmes et les gens simples).
Plus anecdotique mais amusante aussi, cette façon d'évoquer les technologies nouvelles (automobile, cinéma, téléphone) sans jamais les nommer, en se situant dans la perspective de Yuan passé brutalement d'une Chine du nord rurale et arriérée à celle des grandes villes du sud.

Peut-être le roman le plus riche de la trilogie même si ma préférence va au premier sans doute eu égard à la personnalité de Wang Lung.
Un seul aspect, qui concerne l'ensemble de la trilogie, m'a toutefois un peu gênée tout au long de ma lecture. L'auteure a délibérément choisi de prendre le contrepied du roman historique: aucune date précise, aucun nom de personnage réel, aucun nom de lieu ne sont jamais mentionnés (à titre d'exemple, elle parle de la nouvelle capitale sans jamais préciser le nom de Nankin) à charge pour le lecteur de tenter de s'y retrouver dans cette période particulièrement chaotique de l'Histoire de la Chine.

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Troisième tome de la trilogie « La terre chinoise »

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 29 février 2020

La trilogie La terre chinoise fut écrite par Pearl Buck entre 1931 et 1935. Elle est composée de :
- La terre chinoise (1931)
- Les fils de Wang Lung (1932)
- La famille dispersée (1935)

Seul Vent d’Est, vent d’Ouest l’a précédé (1930) dans la longue liste des romans qu’elle a consacré à la Chine. Toute son enfance, qu’elle a passée en Chine puis onze ans de sa vie de jeune femme mariée, toujours en Chine, en ont fait un témoin privilégié de ce monstre de pays avant qu’il fasse sa mue puis au début de sa mue …
Les évènements racontés dans cette trilogie ne sont pas formellement datés mais, écrits au début des années 30, on peut considérer sans risque que la situation décrite se situe entre fin du XIXème siècle et tout début du XXème siècle, 1900 – 1920 disons … Une époque où la Chine vit largement encore de manière féodale, une époque qu’a connu Pearl Buck puisqu’elle été élevée en Chine à cette époque.
D’une certaine manière, chacun des trois tomes aborde un aspect particulier de cette société chinoise du début du XXème siècle :
La terre chinoise est centrée sur la vie des paysans, quasi esclaves, dans cette Chine féodale,
Les fils de Wang Lung sur le phénomène des « Seigneurs de guerre »,
et La famille dispersée sur les grands centres urbains du sud, où cohabitent également des Occidentaux, et la révolution qui monte.
La famille dispersée
Elle va prendre une grande claque en effet la famille issue de Wang Lung puisque dans ce tome, Pearl Buck va s’intéresser à la fin d’un monde chaotique ; la féodalité chinoise pour un autre type de chaos, la révolution à venir en réaction aux seigneurs de guerre et à l’absence d’espoir qui caractérise la jeunesse d’alors un tant soit peu éduquée en Chine. Yuan est de ceux là. Le fils de Wang le Tigre a été envoyé par son père dans une école de guerre d’un grand centre urbain du sud de la Chine pour pouvoir lui succéder et agrandir le pouvoir qu’avait acquis Wang le Tigre. Mais bien sûr les choses ne vont pas se passer ainsi dans ce monde déliquescent que constitue la Chine d’alors, entre féodalité pourrissante et révolution qui se cherche.
Nous allons assister à la déchéance de Wang le Tigre devenu vieux, un tigre dont les dents ont été rognées par son frère, Wang le marchand, subrogé qu’il est par les dettes que le Tigre a contracté auprès du Marchand. Yuan est piégé et devient l’obligé de son oncle, Wang le marchand. Même loin de la ville d’origine des Wang, réfugié auprès de la concubine de son père qui est venue s’installer dans la grande ville du sud, il est à sa merci. Ayant frayé avec les révolutionnaires, il trouve son salut dans un exil provisoire aux Etats-Unis (on est loin de la misère du grand père, Wang Lung !) et c’est l’occasion pour Pearl Buck de tirer parallèles et comparaisons entre deux mondes si différents.
Une jeune femme, Mei Ling, va prendre une grande importance dans l’histoire et dans la vie de Yuan et constituer une lueur moins glauque dans ce tableau de la Chine du début du XXème siècle. Mais l’esprit révolutionnaire monte en puissance et l’on sent bien à la fin de la trilogie qu’un monde va basculer … Et encore, en 1935 Pearl Buck ne pouvait mesurer à quel point ça pouvait basculer !
On peut réellement saluer cette œuvre de Pearl Buck, véritable témoignage sur ce que fut cette Chine féodale et comment s’est amorcée la bascule. Il se dit qu’elle est toujours beaucoup lue en Chine et considérée comme une auteure chinoise ? Pas un mince honneur pour une fille de missionnaire chrétien !

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