Le ciel sous nos pas de Leïla Bahsaïn

Le ciel sous nos pas de Leïla Bahsaïn

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Alma, le 14 mars 2019 (Inscrite le 22 novembre 2006, - ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 213ème position).
Visites : 2 113 

« Tout se paye »

« Quelque part de l'autre côté de la petite mer », dans une ville du Maroc.
Nichée sur le petit balcon, son « perchoir » qui domine la Place de la Dame Libre, l'héroïne-narratrice observe les allées et venues et rêve..... Elle rêve d'un monde où la femme marocaine ne subirait pas la domination masculine. Elle ne se contente pas d'en rêver la nuit, elle s'emploie à le réaliser le jour.
Elle vit au sein d'une famille de femmes, avec sa soeur Tifa et sa mère « officielle » (on verra plus tard ce que recouvre cet adjectif), une femme « mulet » qui est à elle seule « un homme et demi » et fait vivre la maison des produits de son commerce d'objets de contrebande.
Scolarisée en lycée, bonne élève le jour, l'adolescente au corps en métamorphose et qui sent en elle l'éveil de la libido, devient rebelle la nuit et se livre avec sa copine Kenza, qui possède une MKB Swing, à des équipées nocturnes à moto.

Un jour viendra où sa soeur Tifa finira par « s'écouler sur le marché matrimonial » et partira vivre en France ; un autre suivra où sa mère mourra .
Croyant rejoindre « le beau nombril du monde » elle franchira par bateau « la petite mer » et rejoindra alors Tifa en banlieue parisienne .
La déception est grande, on est loin du Paris rêvé, idéalisé, on est loin du Paris de la chanson d'Enrico Macias ….. Paris ne l'a pas prise dans ses bras …Elle se retrouve dans la triste cité des Petits Nègres où Tifa remariée à un islamiste radical mène une vie de recluse .

Surtout, ne pas tomber, comme sa sœur dans les filets de cette société corsetée !
Faisant sien le slogan du jeu vidéo favori de son extrémiste de beau-frère « il y a un guerrier en chacun de nous », notre héroïne va prendre son destin en main et lutter pour assurer son émancipation « la liberté ne s'offre pas, elle s'arrache, elle se dérobe,elle se gagne et se paye à la sueur du corps ».
Une émancipation qui passera par la savoir, par l'inscription à l'université, aidée en cela par des rencontres avec de bons samaritains .
Sa vie se transforme progressivement grâce à l'amitié de Sonia, la boxeuse qui « la plonge dans la réalité du langage des banlieues où la langue cogne pour exprimer le cri des caves moisies », au soutien de l'étudiant Yoni qui la rassure dans ses recherches universitaires, à l'amour d'un bibliothécaire qui pourvoit à ses besoins en livres, à Négrita, celle qui l'avait déjà précédemment tirée d'affaire. Cette émancipation va se poursuivre plus tard lors de son retour au pays où elle mettra sa réussite au service de femmes analphabètes marocaines .

Premier roman de Leïla Bahsaïn, cet ouvrage est une réussite et une agréable pépite.
Il vous charmera par sa pétillance, son humour, par la fraîcheur du regard naïf et souvent décalé de l'adolescente sur le monde des adultes et sur la société de consommation.
Il vous emportera par la force de son écriture, un écriture « pêchue », incisive, souvent caustique dans ses raccourcis et ses images, pleine de créativité car métissée, nourrie d'un imaginaire marocain et mixée avec des tournures françaises .

Il vous touchera, ce roman d'apprentissage qui présente le cheminement de son héroïne, confrontée à diverses épreuves, aidée par des personnages facilitateurs ou initiateurs , et qui passera des années de jeunesse au Maroc aux années d'apprentissage en France pour déboucher sur une période de maîtrise, d' équilibre et d'accomplissement où elle entraînera d'autres êtres dans son sillon .

Il représente une leçon de vie pleine de lucidité qui invite à agir et non à subir, à prendre et non à accepter et qui ne cache rien des difficultés à affronter, comme en témoigne la phrase qui revient comme un leitmotiv « Tout se paye ». Car notre battante d'héroïne sait que rien n'est donné et et qu'il faut parfois payer un prix fort pour atteindre un idéal !

C'est enfin un joli conte où le parcours de l'héroïne est jalonné de rencontres ou de retrouvailles avec des bonnes fées : Négrita, Pavlova, Marianne. Un conte comportant en son milieu l'histoire de Cornes de gazelle,que lui racontait Tifa autrefois, l'histoire de la belle enfant « désignée par les esprits du bien pour trouver un trésor ».  Placée entre la séquence au Maroc et le départ pour la France, serait-elle la préfiguration du destin de:l'héroïne ? Libre au lecteur de l'interpréter comme il le voudra, confie Leïla Bashaïn dans une interview.

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Le savoir comme sésame

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 13 août 2020

Cette histoire, inspirée peut-être par celle de l’auteure, raconte la vie qu’une jeune fille marocaine a menée entre la Place de la Dame Libre où elle résidait dans une ville du nord du Maroc et la cité des Petits Nègres où, après le décès de sa mère, elle a échu auprès de sa sœur dans la région parisienne. La vie entre la liberté que sa mère célibataire revendiquait malgré les contraintes sociales et religieuses imposées par la société marocaine et la vie dans la discrimination qu’elle a découverte dans cette ville dont elle a longtemps rêvé, qu’elle croyait le « nombril du monde ».

L’auteure raconte sa mère, femme libre, trafiquante, éducatrice sévère, intraitable sur l’instruction et sa sœur très vite mariée avec un jeune homme de l’émigration qui l’emmène de l’autre côté de la Petite Mer. Elle était bonne fille et bonne élève mais n’était pas très obéissante, elle se permettait des libertés que la mère n’aurait jamais acceptées. La mort de cette dernière, l’oblige à rejoindre sa sœur qui réside dans un quartier populaire, elle découvre alors la vie dans les cités parisiennes, ou de la proche banlieue, sans se laisser intimider toujours aussi déterminée et décidée à s’en sortir par les études. Il lui faut toujours conjuguer les règles du quartiers, de la communauté et de la société avec ces fichus hormones que les filles doivent maîtriser mais que les hommes peuvent laisser déborder.

Elle croit cependant en la liberté même si « la liberté ne se vend pas sur un rayon de supermarché non plus. La liberté se gagne et se paye à la sueur du corps ».
Cette histoire, au moins en partie autobiographique, décrit une société où la politique et la religion sont étroitement mêlées sans jamais réellement pouvoir définir leur territoire et compétences respectifs. D’autant plus que la société de consommation à outrance qui sévit au Maroc comme ailleurs, perturbe encore plus les mœurs et les coutumes. Cette confusion, les expatriés et les migrants l’ont transportée dans les cités où ils ont été entassés sans autres formes d’intégration. C’est l’histoire de la débrouille, du fort contre le faible, mais aussi celle de l’intégration par l’instruction et la culture et, hélas, aussi celle de la manipulation des faibles et des incultes par les extrémistes. C’est le triste sort des pays et des cités où « On vous sert une éducation dépouillée de toute culture, … ! On vous enfonce dans le culte de la consommation et on vous enferme dans une pensée prête à porter ».

Leïla écrit son texte avec verve, gouaille, humour, dérision, évoquant le langage imagé, vif, rapide des cités, les formules fulgurantes fusent à longueur de pages, mais elle les enrobe dans une belle culture littéraire, elle connait ses classiques, elle connait la langue et ses formules de styles, j’ai remarqué quelques allitérations et zeugmes fort bien venus. Leïla ne fait aucune concession, elle dit ce qu’elle voit, ce qu’elle vit, ce qu’elle pense, la réalité de la situation que les émigrés connaissent aujourd’hui, Elle ne cherche pas à défendre l’un ou l’autre, elle dénonce tout ce qui ne marche pas, elle réfute tous les faux semblants et hypocrisies d’où qu’ils viennent. Elle n’évoque qu’une croyance, celle en l’instruction qu’elle dévoile en évoquant son investissement pour l’alphabétisation des femmes dans son pays natal. « Chaque écrivain est un poète qui livre une vérité du monde. Le mot écrit n’a rien à voir avec le mot dit. Le mot dit est volatil, il bascule vite dans la grande consommation et le fast-food ».

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