Des hommes couleur de ciel de Anaïs Llobet

Des hommes couleur de ciel de Anaïs Llobet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Killing79, le 1 mars 2019 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 2 518 

Drame humain

Présentation de l'éditeur
Dans le pays où est né Oumar, il n'existe pas de mot pour dire ce qu'il est, seulement des périphrases : stigal basakh vol stag, un « homme couleur de ciel ». Réfugié à La Haye, le jeune Tchétchène se fait appeler Adam, passe son baccalauréat, boit des vodka-orange et embrasse des garçons dans l'obscurité des clubs. Mais il ne vit sa liberté que prudemment et dissimule sa nouvelle vie à son jeune frère Kirem, à la colère muette. Par une journée de juin, Oumar est soudain mêlé à l'impensable, au pire, qui advient dans son ancien lycée. La police est formelle : le terrible attentat a été commis par un lycéen tchétchène.


Mon avis:
Lors d’un mouvement migratoire, il y a deux types de personnes. Tout d’abord, il y a ceux qui continuent de revendiquer leurs origines pour garder les traditions. Même si leur nouvel environnement paraît bienveillant, ils se sentent toujours étrangers. Ils emmènent jusqu’à leurs colères avec eux. Et ensuite, il y a ceux qui renient leur pays maternel en ayant l’impression de mieux s’intégrer à leur nouvel habitat. Ils veulent passer inaperçus, se fondre dans la masse afin d’oublier leurs misères d’autrefois.

Le roman parle de cette dichotomie et est la rencontre de ces deux phénomènes. Les protagonistes de cette histoire vivent leur adaptation chacun à leur manière jusqu’au jour un évènement dramatique remet tout en cause. Le passé refait alors surface et leur condition au sein de leur nouveau pays s’en voit bouleversée.
Les premiers, qui ont voyagé avec leurs combats, peuvent laisser libre court à leur rancœur. Les seconds sont rattrapés par les traditions qu’ils fuyaient et se rendent vite compte que le pays, qui représentait la tolérance à leurs yeux, est capable de tout autre chose. Devant la tragédie, la société délaisse ses intentions d’ouverture d’esprit pour laisser ressurgir les instincts de défense les plus primaires. L’ennemi redevient l’entité différente et les étrangers sont ramenés inexorablement à leurs origines.

Anaïs LLobet implique le lecteur dans son drame. On entre en empathie avec les acteurs. On se prend de plein fouet la violence morale et physique qu’ils subissent. Le récit puise sa force dans le réalisme de son atmosphère et dans la souffrance profonde de ses personnages, victimes de leur passé. Sans prendre parti, il traite de thèmes polémiques tels que l’homosexualité, l’immigration et met en lumière la puissance des préjugés. La plume limpide de l’auteure sert parfaitement un scénario maîtrisé, qui nous réserve quelques surprises. L’atmosphère s’alourdit de page en page, jusqu’au dénouement inéluctable. Gros coup de cœur pour ce roman d’une justesse brutale et d’une humanité folle !

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Belle découverte.

10 étoiles

Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 19 juillet 2019

La Haye 2017, Adam a rendez-vous avec Alex dans un café où il travaille. On apprend qu'un attentat a eu lieu dans un lycée, celui où Kirem son frère se trouve.

Adam essaye de joindre son frère, il a peur. Combien de morts ? Une vingtaine. Impossible de le joindre. État d'urgence, tout le monde rentre dans le bistrot , on s'enferme. Les rumeurs vont bon train.

Soudain, les policiers fracturent la porte, obligent les clients à se coucher par terre. On crie un autre nom ; Oumar. Les policiers le saisissent et le menottent.

C'est la première page que je viens de vous raconter, elle plante le décor.

C'est un roman à tiroirs abordant plusieurs thèmes que nous propose Anaïs LLobet dans son deuxième roman. Il nous parle d'intégration, de différences, de déracinement, d'exil, d'identité culturelle, d'homosexualité, du poids des traditions.

Tout commence par un attentat dans une école, une bombe explose , 20 vies emportées. On soupçonne très vite Kirem, le frère d'Oumar de part ses origines Tchètchènes.

Plusieurs personnages.

Oumar, un ancien élève brillant, arrivé seul aux Pays-Bas quelques années plus tôt. Il est homosexuel et c'est sous le nom d'Adam qu'il se réalise. Il est intégré et a découvert la liberté d'être lui-même en arrivant dans ce pays. Il a connu la guerre, la peur et sa différence, oui il aime les hommes ce qui est interdit dans son pays. Il est plus fragile, différent c'est ce que sa mère Taïssa avait compris et une des raisons pour lesquelles elle l'a envoyé ici aux Pays-Bas à la conquête d'un diplôme et de sa liberté.

Kirem son frère et Makhmoud son cousin sont arrivés plus tard avec Taïssa.

Alissa est prof de russe, c'est l'autre tchétchène du lycée, elle préfère cacher ses origines dont elle a honte et dire qu'elle est russe, même à son petit ami Hendrik. Que d'effort pour s'intégrer depuis 10 ans, mais la peur, le poids des traditions, les souvenirs de la guerre la poursuivent. Avec les attentats, la peur l'envahit à nouveau, elle se sent traquée et va collaborer avec la police.

Kirem est son élève, il est différent d'Oumar, plus taciturne, rebelle, on pense qu'il est radicalisé.

Un roman qui sur base de l'attentat nous rappelle ce que les tchétchènes ont enduré et fui, qui nous donne une autre image de celle de terroriste qui vient en premier en général.

Un livre poignant dont l'écriture est splendide, sensible et juste, qui nous parle magnifiquement de l'exil et de la difficulté de l'intégration et de la perception des autres.

Elle nous parle de la difficulté voire de l'impossibilité d'assumer l'homosexualité, mais aussi d'intolérance, des codes de l'honneur très puissants, de la religion et de son poids ainsi que des différents niveaux d'intégration dans le nouveau pays. Elle nous parle aussi de la liberté qui s'exerce différemment pour chacun.

Un roman coup de poing que j'ai trop tardé à découvrir.

C'est un coup de ♥


Les jolies phrases

On ne peut pas entrer dans une nouvelle maison tout en gardant les pieds dans l'autre. Les portes laissées ouvertes suscitent des courants d'air. Et personne n'aime les courants d'air.

Ils n'avaient jamais su ce que c'était de partir, oublier, effacer, reconstruire. Ils ne savaient pas, ils ne sauraient jamais.

Il n'y avait qu'une seule voie d'intégration. Celle qu'Oumar et Alissa avaient choisie. Faire table rase, prétendre que rien n'avait existé. Donner à quelques souvenirs un accent folklorique et éteindre les autres, comme on étouffe un feu pour laisser les braises vives plus longtemps, à l'abri des regards. Un simple subterfuge. C'était ce que Kirem n'avait pas compris.

Quand le néerlandais s'enfuit, c'est que tu as laissé le passé absorber le présent.

Alissa, elle, ne voulait pas penser aux enfants tués. Elle savait d'expérience que les noms, les photos et les mausolées n'apaisent pas la douleur et ne font que l'aggraver.


Deux frères, c'est comme deux mains, leur disait Taïssa. Elles vivent leurs vies, mais elles restent inséparables. Depuis que les bombes ont explosé, Oumaa a l'impression d'être devenu manchot.

Les djihadistes, c'est un peu nos nazis à nous, en fait.

Il venait d'être condamné à mort, déclaré coupable du pire par les deux camps. Terroriste et homosexuel.

Elle se haïssait de penser ainsi, moins parce qu'elle percevait l'horreur de son intolérance que les limites de son intégration?

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