Le pays de la littérature : Des Serments de Strasbourg à l'enterrement de Sartre de Pierre Lepape
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire
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Exception culturelle
J’ai récemment lu dans une critique que Bérénice a rédigée sur l’Anthologie de la poésie française d’André Gide, la question qu’un jeune poète anglais posait à Gide : « Comment expliquez-vous, monsieur Gide, qu'il n'y ait pas de poésie française ? »
On fait souvent le procès de cette lacune à la littérature française (ou devrais-je dire d’expression française).
La première raison est que, sans doute, comme dans la musique et les autres arts d’ailleurs, le génie français ne brille pas particulièrement par son lyrisme, ni n’est souvent loué pour sa manière d’exalter les passions ; son trop grand sens de la norme et de la règle l’entravent souvent et la rigueur de la langue rend la tâche plus difficile encore. On lui reproche la mesure, la clarté, la concision, l’efficacité (drôles de reproches), le manque d’ampleur, parfois jusqu’à la niaiserie, la pusillanimité et le manque d’audace. Elle peut pourtant s’enorgueillir d’avoir plus d’écrivains à l’Index que les autres littératures, d’avoir, de Voltaire à Sartre – en passant par Zola, un grand nombre d’écrivains engagés, d’être la patrie des intellectuels.
La deuxième raison réside dans ce que, précisément, sa prose semble avoir atteint l’excellence et s’être attelée a tous les genres. (« Seule exception : rien chez nous qui corresponde au Kama-sutra ; la foi chrétienne s’y opposait : la notion de péché nous interdit l’érotique sacrée. », dit l’encyclopédie Universalis.) Certes il lui manque les esprits tourmentés de Russie, les romantiques allemands ; il lui manque un Dante, un Cervantès, un Shakespeare, un Goethe. Qui choisir en effet dans la littérature française qui pourrait la symboliser comme ces derniers leur littérature respective ? En manque-t-elle vraiment, ou y en a-t-il à ce point tant que chacun s’étendant ombrage l’autre, que la profusion de voix discordantes est moins « audible » que toute une littérature criant de la même voix que son héraut ? Pierre Lepape, à travers ses pages, nous fait pencher vers la deuxième option. Après tout, Goethe ne fut-il pas un génie touche-à-tout isolé au milieu d’une littérature allemande alors de second rang, complexée et s’inspirant des courants français ? L’exception semble confirmer la règle. La France avait déjà ses lettres et, quasiment sans discontinuer, a toujours eu ses grands hommes de lettres.
Il n’y a nulle part de vie littéraire comme en France. Déjà, on le sait, les écrivains correspondent, discutent, s’affrontent ou s’entendent, se regroupent en écoles, guignent l’Académie, ou l’ignorent et rejètent son autorité, forment en somme une « société littéraire » (ce qui n’est pas le cas partout). Mais, au surplus, ils quittent les salons pour la rue (ou amènent la rue dans les salons) : ils ont tissés des liens insécables entre les français et leur langue, les français et leur littérature, si bien que politique et littérature sont depuis bien longtemps en France inséparables. Qui saurait parler de la Révolution sans mentionner les écrivains des Lumières et les Encyclopédistes, de Sade sans évoquer la Révolution, de Zola sans retracer l’affaire Dreyfus, de la NRF (que Drieu-la-Rochelle compromit) sans les années sombres de l’Occupation, de Gide sans la dénonciation du colonialisme puis du communisme, des « romanciers de Minuit » sans la guerre d’Algérie, etc. ? Ainsi, « des serments de Strasbourg à l’enterrement de Sartre » – c’est le sous-titre, c’est-à-dire de 842 à aujourd’hui, l’auteur égraine les événements principaux de la vie littéraire française, des plus édifiants aux plus incongrus, des plus fameux aux moins connus.
Pierre Lepape ne s’essaie pas ici au classement de littératures, ni à montrer la supériorité des lettres françaises (ce serait impossible, faux et vain), mais tente plutôt d’exposer leur singularité et les diverses raisons et façons dont elles débordent de leur simple cadre intellectuel et artistique pour atteindre, dans ce ferment culturel unique, à l’universalité qu’on lui assigne volontiers.
Enfin, ce livre est clair, bien écrit, très bien documenté et fractionné en petits chapitres qu’on peut lire indépendamment chacun, dans le désordre, comme un dictionnaire amoureux.
Les éditions
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Le pays de la littérature [Texte imprimé], des Serments de Strasbourg à l'enterrement de Sartre Pierre Lepape
de Lepape, Pierre
Seuil / Fiction & Cie
ISBN : 9782020358798 ; 26,40 € ; 12/09/2003 ; 736 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (1)
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de Lepape à Winock
Critique de Bérénice (Paris, Inscrite le 18 mai 2004, 38 ans) - 14 juin 2004
Je mets 5 étoiles à l'avance à Lepape.
Forums: Le pays de la littérature : Des Serments de Strasbourg à l'enterrement de Sartre
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Merci à Bérénice pour son conseil | 18 | Mœlibée | 18 juin 2004 @ 21:47 |