La confession négative de Richard Millet
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Un romanesque dans un monde désenchanté
– « Je comprends très bien ; c’est un romanesque ! » (le négociant et entomologiste Stein parlant de Jim dans le récit de Conrad).
1975 : âgé de vingt-deux ans, le double fictionnel de l'auteur, sorte d'alter ego romanesque, quitte la banlieue parisienne pour aller s'engager au Liban et combattre au sein des milices chrétiennes dans la guerre civile qui fait alors rage. Il nous plonge dans les combats de rue avec leurs accès de folie, leurs horreurs, mais aussi leur routine. Puis par touches insensibles, ses souvenirs d'enfance le ramènent à son Limousin natal, à une mère indifférente qu’il ne connaît vraiment que dans son adolescence, ne nous disant presque rien de son père qui est déjà mort. S'il part, ce n'est pas par conviction politique, même si c'est une évidence pour lui de se retrouver du côté maronite, mais pour se confronter au réel, pour acquérir l'expérience du monde qui lui manque. Sa seule conviction réside dans sa volonté de devenir écrivain.
Ces confessions sont déconcertantes : le personnage principal est tout à la fois timide, orgueilleux, misanthrope et si jeune, déjà un « homme de la désillusion ». Visiblement il ne tient à aucun moment à se présenter sous un jour aimable. Il est l'un des ces romantiques engoncés dans des rêves littéraires et guerriers, des rêves en accord avec une sentence de sa mère, selon laquelle « pour écrire il ne fallait pas être paresseux et surtout, avoir beaucoup vécu, et qu’on ne connaissait rien de la vie si on n’avait pas connu la guerre ».
Le statut d’écrivain est, au bout du compte, la seule chose qui compte pour lui réellement. Ainsi, La Confession négative ne parle que d’un homme qui est prêt à tout pour entrer en littérature, car c’est en devenant écrivain qu’il sortira de « l’insignifiance », de sa condition de « rien ». Le livre va développer la métaphore de la parenté entre la guerre et l'écriture, avec de nombreuses variations. Il reflète également l'obsession de Millet quant à la décadence de la langue française
La Confession négative est un livre d’amoureux de la langue française, d’un écrivain soucieux avant tout de la musicalité de la phrase. phrase souvent ardue mais rigoureuse. Sous cet angle, j'ai été ébahi par le savoir-faire, cette manière assez envoûtante de mêler adroitement au sein d’une même phrase des épisodes de combat à des souvenirs d’enfance ou à des apartés inactuels pour revenir impromptu dans le cours du récit. Admiration d’autant plus paradoxale que je n’aime pas ces styles « proustiens » constitués de phrases longues, complexes, remplies de subordonnées relatives et de compléments, qui évoquent dans une même phrase plusieurs temporalités différentes, et d’autres procédés stylistiques comme le rappel du sujet en milieu de phrase.
Les lecteurs suivant l’actualité littéraire poseront la question. Et les polémiques ? Et la morale dans tout ça ? Richard Millet est devenu ces dernières années l’une des bêtes noires des journalistes et des "intellectuels" médiatiques qui n'ont eu de cesse de le placer au ban de la société littéraire. La misanthropie développée dans le livre, voire l’absence de morale, apportent suffisamment d’eau aux moulins de tous les vertueux - un critique sur un blog s’étonnait même que des associations humanitaires n'aient pas encore « poursuivi en justice cet assassin » -, pour que l’on n’écarte pas le sujet au prétexte que la littérature n’a pas à être mesurée à d’autre aune qu’à celle de critères littéraires (ce qui est aussi vrai).
Le héros nous dit lui-même que « par bien des côtés, ce récit sera celui d'une chute ». Et c’est un univers dans lequel règne le silence du dieu chrétien, dans lequel le seul récif qui émerge encore est celui de la Littérature, les réminiscences du Limousin n’étant que le regret d’un monde définitivement enterré, pas plus vivant que ce Liban en train de sombrer. La déshumanisation qui en résulte et la misanthropie qui en est le parallèle ont pour avantage leur absence d'hypocrisie mais ne sont pas de mon goût. Je doute d'ailleurs que cette forteresse Littérature tienne plus longtemps que le reste. Aussi, cet appel au combat par égotisme littéraire me semble infiniment triste, presque autant qu’une tragédie grecque qu’aurait déserté le contrepoint sacré des dieux du paganisme.
Aux amateurs de tortures, de bûchers et de piloris à destination de cet ennemi des bienséances et des mondanités qu’est Millet, il serait facile de montrer à quel point ce récit n'est pas une simple autobiographie, que depuis les « idiolectes limousins » et ce qui ressort de la biographie de l'auteur montrent comme tout ceci est construit. Pour ma part, je ne vois pas de meilleur hommage à lui rendre que d’accorder que cette confession se place exactement dans l'idéal goethien de Poésie et Vérité quand l'héroïne principale affirme que « la guerre m'ayant au moins montré cela, en même temps qu'elle m'a permis d'être libre, heureux, plus vivant que je ne le serai jamais ». Millet reproche aux écrivains actuels de ne plus s’affronter au réel, de se contenter de réalité de substitution et, ainsi de ne fournir que de « la fausse monnaie littéraire ». Il montre par l'écrit et vraisemblablement par l'action que d’autres parcours sont possibles.
Les éditions
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La confession négative [Texte imprimé], récit Richard Millet
de Millet, Richard
Gallimard
ISBN : 9782070124138 ; EUR 22,90 ; 08/01/2009 ; 528 p. ; Broché
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