Le roman d'Esther de Pauline Flepp

Le roman d'Esther de Pauline Flepp

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 20 mars 2018 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 5 étoiles
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Vies gâchées

Ce roman, qui se lit aisément et rapidement, est une sorte de thriller sentimental au cœur de Paris. Néanmoins, il n'y a ici aucun suspense : l'issue tragique de l'histoire d'amour entre Antoine Gardel, romancier à succès solitaire et misogyne, et Esther, jeune et ravissante étudiante en littérature, est dévoilée dès les premières lignes puisque le roman est en fait la confession du romancier emprisonné pour l'assassinat de l'étudiante qui l'avait contacté et séduit sous le prétexte de préparer un mémoire d'étude.

Le récit s'achève avec, en contrepoint, la révélation du journal intime d'Esther qui souligne et amplifie les ambiguïtés de leur relation. Esther, jolie et brillante étudiante à la Sorbonne, mais ne cessant depuis son adolescence de mentir pour s'inventer des vies parallèles, peut-être par désir d'une vie plus aventureuse, s'est mise au défi de séduire Antoine Gardel, un écrivain connu qui la fascine et dont elle devine les failles et la fragilité en l'écoutant lors de ses passages à la télévision. Elle y parvient aisément tant Antoine Gardel, qui vit entre sa table d'écriture et des rendez-vous avec des escort-girls, se laisse grisé par cette irruption soudaine, dans sa vie, d'une jeune femme belle, intelligente et sensuelle, qui semble l’admirer. Mais leur rencontre virera au drame. Esther ne parviendra pas à se dépêtrer de tous les mensonges romanesques dans lesquels elle s'est empêtrée et Antoine Gardel, amoureux méfiant parce que devinant qu'Esther lui cache des secrets, deviendra peu à peu jaloux jusqu'à la folie meurtrière. Pressentant qu'Esther s'apprête à le quitter après une nuit d'amour belle comme un adieu, Antoine, qui avait commencé à broder à partir de leur rencontre un roman où Esther se suicidait, l'étrangle à mains nues.

Les histoires d'amour et de mort sont, comme l'écrivit Denis de Rougemont, les plus poignantes. C'est ce qui confère ici toute son intensité au récit. Mais, hélas, Pauline Flepp ne décolle jamais du récit sentimental et peine à l'élever à la hauteur d'un drame. Alors qu'elle aurait pu aisément donner de la profondeur à son récit en se faisant l'écho de la solitude existentielle de deux êtres fondamentalement inaptes au bonheur rêvant d'un diffus ailleurs, on reste en permanence dans l'évocation d'une romance contrariée, dont la forme est certes littérairement plus évoluée que les histoires qu'Harlequin publie tous les mois. Néanmoins, le récit s’englue dans la relation entre les deux protagonistes qui sont, humainement, des êtres assez minables, sans véritable densité charnelle ni rapport au monde : j'avoue avoir éprouvé des difficultés à ressentir la moindre empathie à leurs souffrances et leurs émois malgré les efforts de l'auteur qui tentait - vainement en ce qui me concerne - de m'apitoyer sur leur sort de bourgeois parisiens en mal d'amour. J'aurais apprécié (ce que par exemple Françoise Sagan parvenait à distiller dans des récits à l'intrigue similaire) un peu de distanciation voire d'ironie, qui aurait en outre mieux fait passer quelques petites invraisemblances ou considérations banales sur le sentiment amoureux… Pour tout dire, c’est un roman que je n’aurai pas présenté sur CL s’il ne m’avait pas semblé illustrer certaines affaires sordides de violences sur les femmes, dont on parle beaucoup en ce moment, car j’ai été gêné par l'espèce de complaisance que manifeste l'auteur envers la notion de "crime passionnel", multipliant les excuses pour un geste qui cristallise simplement la jalousie morbide et l'orgueil offensé d'un homme qui se sent humilié d'être trompé et quitté. Je n'y vois aucune trace d'amour (sauf d'amour-propre) ni même de passion... "Le roman d'Esther" est aussi, implicitement, une histoire sur le pouvoir des média, qui fabrique des vedettes, et la séduction de l'image, qui capture et formate les désirs de la jeunesse. Même si l'auteur ne fait qu'effleurer ces sujets, j'ai malgré tout souri aux apartés et petites piques sur les média et le milieu littéraire (l'éditeur qui cherche à rentabiliser l'exposition médiatique de son écrivain vedette en prison, les interviews par des animateurs - nommément cités - qui n'ont pas lu le livre des écrivains qu'ils invitent, etc.).

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